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Les cinq plaies des consacrés africains selon le père Jean M. Van Parys



Une autopsie réaliste ?

La revue MissioneOggi (Juin-Juillet 2014) a publié un texte du jésuite J. M. Van Parys intitulé : Les cinq menaces pour la vie consacrée en Afrique. Ce texte paru en français dans la revue jésuite Telema, n°2(6-7/2013) reprenait la communication de son auteur lors de la célébration de 75 ans d’existence de deux congrégations religieuses du diocèse de Kikwit en RDC.

Alors que nous sommes en pleine année dédiée à la vie consacrée, il nous paraît opportun de questionner l’autopsie faite par ce missionnaire religieux qui a passé plus de 57 ans en RDC, pays qui voit le nombre de consacrés toujours en hausse. Le propos de ces lignes voudrait ainsi, d’abord mettre en évidence les menaces énumérées par Van Parys et ensuite, désigner leur ombre.

Il nous semble que l’analyse de Van Parys, tout en étant réaliste et vraie ne va pas au-delà d’une compréhension intra-ecclésiale du rôle des consacrés africains. Son analyse se limite à l’éthique individuelle ; ce qui ne lui permet pas d’indiquer les plaies sociales de consacrés africains. C’est là le point de vue du texte qui suit.

Selon le père Van Parys, cinq sont les menaces qui pèsent sur la vie consacrée en Afrique. Il s’agit du tribalisme, des croyances et pratiques traditionnelles, trop de pouvoir des aînés, la soumission à la famille et la course aux titres universitaires. Qui connaît la vie quotidienne des consacrés africains ne peut que circonscrire à ce constat de cet aîné. Il est loin du jugement moral. D’ailleurs le père ne sombre pas dans une vision négativiste du style de vie des consacrés africains car il reconnaît qu’il y a beaucoup d’aspects positifs qui méritent une grande admiration chez les hommes et femmes de Dieu d’Afrique.

Il cite par exemple le fait que beaucoup de jeunes filles et garçons continuent à choisir la pauvreté, le renoncement à leur propre volonté, au mariage, à la paternité et à la maternité… dans un contexte socioculturel qui promeut juste le contraire. Contrairement à ce qu’on pense souvent, beaucoup de consacrés africains travaillent dans une ambiance culturelle qui leur est hostile. A cela, il faut ajouter le fait que beaucoup vivent la fidélité à leurs engagements religieux dans une précarité matérielle qui contraste avec l’opulence de leurs confrères et consœurs occidentaux. Il y a dans le constat de Van Parys, un bémol aux accusations longtemps proférées injustement contre les consacrés africains, en les accusant : de « fuir la pauvreté » et d’envisager leur adhésion au charisme de la vie religieuse comme « une promotion sociale ».

I. Cinq vraies plaies

Revenons aux cinq plaies. Van Parys place le tribalisme en premier lieu. Etre fier de ses origines culturelles est une bonne chose. Mais lorsque l’ethnie et la culture d’origine du consacré deviennent des absolus, alors l’Evangile devient une norme secondaire. Or c’est à cela qu’on assiste dans quelques congrégations à dominance africaine où le sang tribal pèse plus que l’eau du baptême et les engagements religieux. On préfère choisir le supérieur de sa tribu pour s’assurer de ses bons services après. Nous sommes là, dit le père Van Parys, dans une logique qui va contre l’esprit qui a toujours animé les saints fondateurs des congrégations. On ne peut évangéliser avec un cœur tribal, car l’Evangile ouvre justement les cœurs de ceux-là qui l’accueillent et les dispose à être frères et sœurs de tous. Dans le cas contraire, le Christ serait un vernis ou une valeur ajoutée sans importance.

Malgré la croissance du nombre de chrétiens en Afrique, le recours à la sorcellerie et aux pratiques traditionnelles n’ont pas disparu. Au contraire, ces pratiques anti-évangéliques reviennent en force. On en est arrivé à dire qu’il y a plus de baptisés africains que de chrétiens. Recourir aux forces occultes pour se protéger contre la maladie, l’ennemi ou chercher une promotion n’est pas une pratique inconnue des consacrés africains. C’est la deuxième plaie des consacrés d’Afrique selon notre père jésuite. On peut légitimement se demander si la confession du Christ comme Unique Seigneur n’est pas un vain mot dans une ambiance religieuse pleine des fétiches et de sorcellerie. Avec raison, le père Van Parys s’interroge sur la qualité de formation religieuse et intellectuelle dispensée aux consacrés africains. Au-delà d’un déficit de foi, ne faudrait-il pas penser à un simple déficit de la raison ?

Dans les traditions africaines, les aînés jouissent d’un grand respect. C’est une valeur qui se poursuit même dans la vie consacrée. Ce respect devient peccamineux lorsque les jeunes consacrés doivent fermer les yeux sur les manquements des aînés, seulement parce qu’ils sont nés avant. Voilà la troisième plaie des consacrés africains. Et pourtant, soutient Van Parys, parce qu’ils ont plus d’expérience, les aînés sont sensés vivre radicalement le charisme tel que codifié dans les Constitutions et servir ainsi d’exemple aux plus jeunes. Ce qui n’est pas toujours le cas.

La soumission à la famille est la quatrième plaie de consacrés d’Afrique selon Van Parys. On sait l’attachement des africains à leur famille ; ce qui n’est pas un mal en soi. Cela devient anti-évangélique lorsqu’un consacré s’évertue à vider les caisses de sa communauté pour subvenir aux besoins des siens. Les préoccupations des amis et des membres de la famille prennent plus d’importance que les autres urgences de la congrégation. L’histoire des diocèses d’Afrique tombés en faillite à cause de telles pratiques n’est un secret pour personne. Les congrégations religieuses ne sont pas à l’abri d’une telle déroute, lorsqu’on sait combien des consacrés se sont convertis à l’adoration du dieu Mammon.

Enfin, le père Van Parys pointe la course aux titres universitaires comme cinquième plaie des consacrés africains. Il reconnaît que toutes les congrégations ont besoin des personnes qualifiées dans plusieurs domaines de leur apostolat, mais cela ne doit pas servir de prétexte aux consacrés, pour qui, un gros diplôme est une porte d’entrée dans le cercle des décideurs de la congrégation. Ce qu’il faudrait promouvoir, c’est une saine curiosité intellectuelle qui allie recherche et efficacité. Ce pari est loin d’être gagné par les consacrés africains, lorsqu’on voit la mendicité intellectuelle dans laquelle certains se complaisent.

II. Au-delà de l’éthique individuelle : la dimension sociale des plaies des consacrés

Les plaies énumérées par Van Parys sont vraies. On peut et on doit d’ailleurs en dire plus lorsqu’on se rend compte que l’augmentation quantitative des consacrés africains n’a pas été suivie d’une amélioration qualitative des services qu’ils rendent aux Eglises et aux Etats africains. Toutefois, il ne faudrait pas faire de ces plaies une spécificité africaine. Il serait intéressant d’examiner quel est leur visage chez les consacrés d’autres continents. Mais cela serait l’objet d’un autre texte.

Tout en souscrivant au diagnostic de Van Parys, nous nous demandons si son analyse va au-delà de l’éthique individuelle. Il parle des rapports interpersonnels (tribalisme), de croyances païennes, du lien à la famille, aux aînés, de la course aux diplômes…Tout se limite à la recherche du bien-être individuel des consacrés. Il est vrai que celui qui n’est pas heureux ne saurait œuvrer pour le bonheur des autres. Mais le charisme de la vie consacrée a, dès ses origines, l’attention aux autres, le service à autrui comme un de ses éléments constitutifs. C’est pour cela que la sainteté de consacrés n’a jamais été pensée comme un intimisme, mais bien comme une sainteté avec et pour autrui. Si donc on doit évaluer la pertinence de leur style de vie, on est obligé de tenir compte de cette dimension sociale qui caractérise le charisme de la vie consacrée depuis ses origines.

Les Eglises d’Afrique connaissent une croissance sans précédent des consacrés. En même temps, ces Eglises ne brillent guère par l’excellence et encore moins par la radicalité de la vie évangélique. Dans l’histoire de l’Eglise, les consacrés ont souvent servi de correctifs ou de modèles novateurs dans la vie des Eglises et de sociétés. Pour le continent africain, apparemment ce n’est pas le cas. Si beaucoup de néoprofès viennent gonfler le rang de ceux qui existent déjà, on ne voit pas s’amorcer une innovation des communautés chrétiennes et encore moins des communautés religieuses. Et pourtant, les chrétiens ordinaires attendent que ceux et celles qui disent prendre l’Evangile à la lettre ; qu’ils leur montrent comment l’Evangile se fait vie, en servant gratuitement, en toute liberté des enfants de Dieu, dans la pauvreté et la joie. Nous parions qu’une telle vie évangélique est loin d’être perçue par des chrétiens qui ne savent pas la différence entre un religieux et un baptisé ordinaire.

Plus grave encore, c’est l’état des tissus sociaux africains qui questionne la vie et la mission des consacrés des Eglises d’Afrique. Alors qu’ils se comptent par milliers, on ne les voit pas s’engager dans le combat pour la justice, la paix et le bien-être des peuples d’Afrique. C’est tout le sens de leur engagement social qui est posé par la situation de délabrement avancé des Etats africains. Il ne s’agit pas pour eux d’une exigence de trop, mais bien d’une partie intégrante de leur charisme. Ailleurs, les saints religieux ne sont jamais vénérés comme de simples innovateurs de leurs Eglises, mais aussi comme de dignes citoyens, ayant œuvré pour la transformation sociale de leurs patries.

C’est pour cela qu’il faut intégrer dans les plaies de consacrés africains le manque d’engagement social clair de beaucoup de consacrés. Et par engagement social, il ne faudrait pas simplement penser à une implication de trop dans les œuvres socio-caritatives. Il s’agit plutôt de se demander si la présence de nombreux consacrés dans les structures sociales laisse transparaître leur identité charismatique. Dit autrement, comment percevoir la différence entre une école ou une structure d’utilité publique tenue par des consacrés et d’autres structures de même type aux mains des agents de l’Etat, lorsqu’on sait qu’on trouve parfois les mêmes antivaleurs partout ? Etant donné que certaines structures sociales aux mains des consacrés ne brillent pas souvent par l’excellence, la transparence dans la gestion financière, l’équité, la justice…ne faudrait-il pas approfondir la dimension sociale des plaies des consacrés, mieux que ne le fait le père Van Parys ?

Il y a là un chantier ouvert qui pourrait être exploité par les consacrés africains ; surtout ceux-là qui croient que la vie religieuse est une voie de sainteté, un chemin de bonheur, mais un bonheur toujours partagé. Beaucoup de consacrés africains adhérent déjà à une telle vision. Et les témoins ne manquent pas. Il suffit de rappeler les noms comme Mzee Munzihirwa, Anuarite, Engelbert Mveng…pour ne citer que ceux-là.

Le père Van Parys, avec beaucoup de respect, a rappelé aux consacrés africains les exigences de leur vocation. C’est pourquoi il a pointé les menaces qui pèsent sur leur vie. Il ne l’a pas fait en donneur de leçons, mais en aîné. Une lecture attentive de l’exhortation apostolique post synodale Africae Munus, atteste bien son analyse, même si le pape Benoît XVI ne s’adressait pas particulièrement aux consacrés. Mais on sait aussi que les consacrés sont fils et filles de leurs Eglises. Avec leurs coreligionnaires, ils partagent les mêmes idéaux, mais aussi les mêmes égarements. N’est-ce pas là une invitation à remuer le sol africain dans lequel le grain du charisme de la vie consacrée est tombé pour pourvoir le fructifier et viser la production du centuple ?