Skip to main content

A l’école ‘Holy Familly’ où je célèbre la messe chaque mercredi, j’ai rencontré cette semaine une élève avec un visage sombre. Et pourtant elle est généralement très joviale. A ma question, pourquoi était-elle si stricte, sa réponse a été : « je suis en train de jeûner ». Cela m’a fait penser à l’ambiance que je constate ici à Freetown pendant le ramadan où plusieurs musulmans affichent un visage sombre car étant en jeûne. Certes, se priver de nourriture pendant toute la journée inflige de la souffrance au corps. Le carême c’est aussi ça. La privation de quelque chose qu’on aime a un prix. Se refuser un repas dans un pays où pas tous ont l’assurance de manger quotidiennement à leur faim, c’est un vrai sacrifice. La tristesse au visage peut se laisser voir.

Se réjouir en présence du Seigneur

Mais l’évangile de  ce deuxième dimanche de carême indique une attitude autre que le visage sombre : se réjouir en présence du Seigneur. En effet, l’évangile qui nous est proposé est celui de la transfiguration du Seigneur (Mc 9, 2-10).  « Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmène, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux », relate l’évangile. V 2.

La suite de l’évangile nous dit la réaction des apôtres, surtout Pierre. « Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » v5. Il est bon que nous soyons ici ! Empruntée à ce récit évangélique, cet expression est devenue un cri typique de quelqu’un qui est comblé de joie. Je l’ai souvent entendue après une belle réception chez des amis. Il est vrai que l’évangile précise que « Pierre ne savait que dire, tant leur frayeur était grande ». v6. La joie rend fou, dit-on. Pierre et ses compagnons ont cheminé avec Jésus. Ils ont vu l’homme à l’œuvre. Ils ont été émerveillés en voyant ses miracles. Mais cette transfiguration, cette image de l’homme de Nazareth dans sa nature divine, elle est pour eux totalement nouvelle.

Pour soutenir l’expérience des apôtres, Dieu lui-même leur vient en aide : «Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : ‘ Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le’ ! » v7. La joie de la rencontre avec le Seigneur, pour être vraie et authentique a toujours besoin d’une aide divine. Autrement, c’est de l’illusion qui ne dure  qu’un instant. Ce n’est qu’un ‘buzz’ pour emprunter le langage médiatique de notre temps.  Au contraire, à la montagne, la voix de Dieu rassure Pierre et ses frères qu’ils ont bel et bien rencontré Dieu en son Fils. Quel privilège ! Et c’est le motif de leur joie. Cela est autant vrai que ça se passe sur la montagne. Dans le langage biblique, il s’agit bien d’un lieu privilégié pour rencontre Dieu, un lieu de la révélation, un lieu de l’alliance (Ex 19, 3-6).

La pratique de l’Eglise veut que le carême soit un temps de prière, de jeûne et d’aumône. Bien vécues, ces pratiques ont pour objectif de rapprocher chacun de nous de Dieu et de ses frère et ses sœur. Nous prions pour que cela se réalise. Par ailleurs le temps de carême vise plus haut. Il va au cœur du mystère de la foi chrétienne : la résurrection. Comme Pierre et ses compagnons, nous sommes invités à comprendre ce que signifie : « ressusciter d’entre les morts ».v 10. Tout en observant les prescriptions de carême, nos yeux sont rivés sur la joie de pâques, la victoire du bien sur le mal, la victoire de la vie sur la mort. C’est là la bonne nouvelle de pâques. C’est là le motif de la joie profonde des chrétiens. Par la résurrection du Seigneur, Dieu a dit son dernier mot. Le mal a été vaincu. La vie a triomphé. Ce message de joie traverse et accompagne notre parcours en carême. Il y a de quoi se réjouir ici ; surtout en ce temps où le virus du covid 19 a mis fin à nos modes habituels de nous réjouir: club, fête en famille, activités sociales et sportives...

Apprendre à descendre de la montagne

Alors que nous prions que le carême devienne le moment où chaque chrétien puisse dire : « il est bon que nous soyons ici », en même temps, nous apprenons à descendre de la montagne. A la suite des disciples, nous mettons nos pas dans leurs pas : « Ils descendirent de la montagne, et Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts ». v 9. Descendre de la montagne n’est autre que rejoindre la dure réalité de la vie, ses hauts et ses bas. C’est là que la puissance du Fils bien-aimé se manifeste en nous.

En effet, il n’est pas dit qu’après carême tout ira à la merveille. Pas sûr. Qui sait ? Peut-être que le fléau dû à la pandémie du covid-19 sera encore là ; même si nous prions et nous espérons que le Seigneur délivre notre humanité de ce mal. Peut-être qu’après toutes nos pratiques de carême nos relations brisées en famille ne seront toujours pas restaurées. Peut-être que nos échecs et blessures de la vie continueront à ronger nos consciences. Ainsi va la vie. Tant que le Christ ne viendra pas définitivement da sa gloire, nos joies  mêlées de nos angoisses et de la mort feront toujours partie de notre quotidien. Nous devrons ‘faire - avec’ comme on dit avec humour au Cameroun. Mais ce ‘faire- avec’ n’est pas une fatalité. Il est soutenu par l’espérance de la présence du Seigneur à nos côtés, par la victoire de sa résurrection que nous célébrerons à pâques.

Comme le chante le psaume de ce dimanche, 'nous marchons en présence du Seigneur sur la terre des vivants' (Ps 115). Tant que nous faisons route avec lui, il y a de quoi se réjouir. Il y a de quoi dire : ‘il est bon que nous restions ici’. Dans sa parole de ce dimanche, le Christ nous parle. Son Père nous demande de l’écouter. Dans l’eucharistie que nous célébrons, il se livre dans nos mains. Il fait de nous des membres de son corps. Dans la communauté des frères et sœurs avec qui nous cheminons, il nous intègre dans sa famille. Puisse le carême devenir un moment de rencontre personnelle et communautaire avec le Christ. Puissent nos pratiques de carême devenir une opportunité de familiarité avec le « Fils bien-aimé » de Dieu. Puissions-nous nous réjouir à cause de la victoire de la résurrection.