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Repartir de l’alliance, repartir du désert

« Mon Aimé, les montagnes, les vallées solitaires ombreuses, les îles étrangères, les fleuves tumultueux, le sifflement des souffles d’amour ; la nuit apaisée proche des levers de l’aurore, la musique silencieuse, la solitude sonore, le dîner qui récrée et énamoure » (Jean de la Croix, Cantique Spirituel, strophes 14-15).

Dans les trois lectures avec lesquelles la liturgie de la Parole de ce premier dimanche nous introduit dans le temps de Carême, il y a un fort rappel au thème de l’alliance, de la communion et de la fidélité de Dieu à l’homme et au monde qu’il a créé. Il s’agit là d’un regard d’espérance que nous sommes invités à porter sur notre réalité aujourd’hui.

L’alliance de Dieu avec Noé est une rétroprojection de l’alliance au Sinaï, et jusqu’au début de l’histoire de l’humanité. La réalité est que Dieu a béni l’homme depuis le premier instant de son existence (Gn 1,28,31) mais ce sont les choix de l’homme qui ont interrompu leur rapport. Tout recommence, et en Noé Dieu bénit toute sa descendance, toute la nouvelle humanité.

C’est du désert, c’est du silence du désert que Jésus nous donne une nouvelle clé de lecture de l’alliance pour nous aujourd’hui. Il commence son activité messianique par un rite préliminaire, le baptême, suivi d’une période de recueillement et de réflexion qui se termine par une déclaration programmatique. Le baptême est un choix et une réponse déterminante également dans la vie de Jésus, mais avant de se mettre à l’œuvre, il a besoin de faire un peu de clarté dans son âme, de comprendre plus à fond le sens de sa mission, de trouver la manière la plus appropriée de l’exécuter. Le désert, donc, la solitude, la prière, l’écoute de la parole ne pourront que contribuer à apporter de la lumière sur sa situation intérieure.

Depuis l’expérience au Sinaï, le « désert » était devenu le lieu privilégié de la rencontre de l’homme avec Dieu. Là, Moïse avait parlé avec le Seigneur face à face ; toujours dans ce lieu, les prophètes avaient invité le peuple à retrouver ou à renouer l’entente avec le Très-Haut (cf. Os 2, 16-22 ; Jr 2, 2-3 ; Dt 8, 2 ; Ez 16, 23). Ce n’est donc pas pour rien que Jésus « est poussé » (Matthieu dit « fut conduit ») dans le désert par l’Esprit. Il s’agit d’une épreuve, d’une confrontation, d’une vérification qu’il vit en rapport avec son Père. C’est en quelque sorte un examen sur son orientation vocationnelle et sur la mise en œuvre de celle-ci. Les Evangiles ne font pas la chronique de ce séjour de Jésus dans le désert. Marc qui est le plus sobre de tous, rappelle à peine la nouvelle. Il tient quand même à en signaler la durée et rappelle le combat spirituel que Jésus eut à soutenir avec Satan. Le nombre « quarante » est déjà conventionnel même pour nous ; il ne dénote qu’une période appropriée pour évaluer une expérience – les Israélites sont restés pendant quarante ans dans le désert pour vérifier leur fidélité à JHWH (Ex 16,35; Nm 14,33-34), Moïse reste avec Dieu sur la montagne pendant 40 jours « sans manger du pain ni boire d’eau » (Ex 24,18; 34.28); Josué et ses compagnons mettent 40 jours pour explorer le pays de Canaan (Nm 13,25); Ezéchiel se couchera sur son flanc gauche 40 jours pour purger l’impiété de l’Israël (Ez 4,6); Jésus ressuscité apparaîtra aux disciples pendant une période de 40 jours (Ac 1, 9).

Les « épreuves » ou tentations que Jésus subit dans le désert ont une durée nécessaire pour vérifier le choix accompli. Marc ne le dit pas clairement comme les deux autres synoptiques, mais il resserre toute l’expérience singulière de Jésus dans ce séjour au désert dans l’expression « pour être tenté ». Si l’on veut être plus précis on peut dire qu’il s’agit d’une tentation qui durera toute son existence terrestre puisque la proposition divine trouvera toujours des réactions contraires.

Quelle déclaration programmatique ?

Les thèmes de la prédication de Jésus sont l’évangile, le Règne de Dieu, la conversion comme condition pour accueillir l’un et l’autre. L’« évangile de Dieu » est une expression que Marc utilise pour désigner « la bonne nouvelle que Dieu entend faire parvenir aux hommes », c’est-à-dire la réalisation de ses promesses, la fin de tout malentendu et des incompréhensions qui avaient eu lieu dans le temps entre l’homme et Dieu et parmi les hommes entre eux. Tout cela équivalait à l’établissement du Règne de Dieu.

A travers ce récit, Jésus est décrit comme l’icône de l’homme « spirituel », qui sait discerner selon l’Esprit. Et cela non pas parce qu’il est placé dans un espace immatériel et étranger à la situation humaine dramatique, presque soustrait à la difficulté que comporte tout choix ou exempt de l’épreuve, mais parce qu’il nous enseigne à choisir selon Dieu, en nous donnant les critères pour un réel discernement « spirituel ». Jésus accepte le défi de la tentation et à travers celui-ci il découvre en profondeur son identité de Fils de Dieu, ce nom déjà entendu dans la manifestation du baptême.

La mémoire de l’alliance prend dans l’histoire du salut le visage de Jésus, le Fils de Dieu et Fils de l’homme ; dans le récit des tentations, Jésus se révèle comme celui qui, tenté dans sa chair d’homme, s’en remet totalement à la parole du Père et vainc toute idolâtrie, en rétablissant cette harmonie imprimée par Dieu dans sa création. C’est le mystère pascal du Christ mort et ressuscité que la liturgie nous fait entrevoir dès le début du chemin de Carême ; mais c’est le mystère auquel chaque croyant participe par le baptême, en devenant signe de cette alliance nouvelle et éternelle dans le Christ.