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Connaître ses droits de locataire en RDC



Dans le monde aujourd’hui, plus de 100 millions de personnes sont sans-abri et plus d’un milliard de personnes sont mal-logés[1]. Selon les estimations des Nations Unies, 3 milliards de personnes vivront dans des bidonvilles en 2050[2]. Ces statistiques n’épargnent pas la République Démocratique du Congo (RDC) et en général l’Afrique.  Dans une de ses nombreuses publications, B. WILSON est d’avis que le droit au logement est considéré comme la base du développement de l’État[3]. Ce droit est prévu dans la constitution de la RDC à son article 48 qui dispose que : « Le droit à un logement décent, le droit d’accès à l’eau potable et à l’énergie électrique sont garantis […][4] ».

Locataire par nécessité en RDC

Le manque de moyens et le taux de pauvreté très élevé ne permettent pas à tout citoyen de se procurer d’une propriété immobilière.  Plusieurs personnes recourent ainsi au mécanisme de la location, que cela soit pour leur habitation ou pour leurs activités commerciales.  En effet, la location d’un immeuble a l’avantage de permettre aux preneurs d’user d’un bien immobilier alors qu’ils ne [5]disposent pas de ressources nécessaires à l’acquisition d’une propriété foncière ou immobilière. Cette location crée un lien de droit contractuel entre le bailleur et le preneur. Le bail commercial est organisé, depuis 2010, par le droit OHADA dans son Acte Uniforme relatif au commerce général. Ce n’est que le 31 décembre 2015 qu’a été promulguée la loi portant baux à loyer non professionnels[6] pour régler la question du bail à usage résidentiel et socioculturel. 

Entre bailleur et locataire : la loi n°15/025 du 31 décembre 2015

Régissant les rapports entre le bailleur et le preneur, la loi n° 15/025 du 31 décembre 2015 relative aux baux à loyer non professionnels demeure la toute première législation au niveau national pour la protection des locataires ou preneurs à bail en RDC. Cette loi vient ainsi clarifier et sécuriser les relations contractuelles et souvent conflictuelles entre bailleurs et locataires en RDC.  Avant ce texte, ces relations étaient régies principalement par les dispositions du décret du 30 juillet 1880 sur les contrats ou les obligations conventionnelles en son titre V relatif au contrat de louage, par l’ordonnance-loi n° 41-672 du 30 décembre 1959 portant limitation du taux de loyer et par quelques arrêtés ministériels pris en cette matière[7].

Cette nouvelle loi va apporter une nouvelle matière en rapport avec les baux non professionnels qui malheureusement laissent encore à désirer, huit ans après, sur le plan pratique. Il se pose encore bon nombre de problèmes pour son application effective dans la protection du droit de logement des locataires. Forte de 49 articles, cette loi a pour effet d’influer sur la protection du preneur, en facilitant la sécurité juridique de l’occupation. Dans cette optique, elle confère, à notre vue, un « droit à un certain degré de sécurité qui garantit la protection légale »[8] et une protection contre les troubles de jouissance pouvant provenir des propriétaires ou des personnes ayant en charge la gestion du bien loué. En scrutant l’objet et le contenu de cette loi nous saurons l’étendue de cette protection.

La loi détermine les conditions de forme que doit respecter un contrat de bail résidentiel ou socioculturel[9] mais dans la pratique ces dispositions ne sont pas toujours prises en compte lors de la conclusion d’un contrat de bail. Cela peut impacter sur l’authenticité du contrat et celui-ci ne sera pas considéré comme un acte probant. Cela impacte également le droit de logement reconnu au locataire en cas de contestation. Outre les dispositions formelles prévues par la loi, il existe un arrêté ministériel de 2018 qui régit l’aspect formaliste du contrat de bail[10].

Une loi écrite, mais souvent non appliquée

Ces dispositions posent problèmes dans leur application sur le terrain, du fait que souvent le contrat de bail entre le bailleur et le locataire n’est pas conclu sous sa forme écrite et ne respecte pas conséquemment toutes les exigences de l’arrêté interministériel de 2018 en la matière. Plusieurs bailleurs se limitent à un accord verbal. Et même lorsque celui-ci est rédigé par écrit, il ne respecte pas souvent toutes les exigences de la loi.  La forme écrite permet donc de soutenir les attentes des parties, en l’occurrence, celles du preneur, en cas de litige portant sur la jouissance du bien.  La loi exige l’enregistrement au service habileté qui serait, à la lumière de l’arrêté interministériel de 2018, le ministère de l’habitat du ressort[11].  L’enregistrement est une exigence légale qui vient après la conclusion du contrat de bail. Fort malheureusement, cet enregistrement n’est pas souvent faite faute de l’ignorance de plusieurs citoyens de l’existence de cette option. Aussi, les bailleurs qui en sont au courant esquivent l’option pour échapper au paiement de l’impôt qu’ils doivent à l’Etat sur le revenu locatif[12]. Et ceux qui s’efforcent pour le payer, y font participer souvent les preneurs ou les mettent carrément à leurs charges, ce qui constitue une violation de la loi[13].

L’enregistrement pourra par exemple permettre au service compétent de connaître les modalités de paiement du loyer et les obligations individuelles et communes des parties. Contrairement à ce que dit la loi, la garantie est perçue comme une somme d’argent que le locataire paye au bailleur afin d’entrer en jouissance de la maison durant un moment convenu[14] le temps de le renouveler quand celle-ci touche à sa fin. La loi prévoit une garantie de 3 mois renouvelable pour le bail résidentiel et de six mois pour le bail socioculturel[15]. La majorité des bailleurs quant à eux exigent une garantie variante entre 6 mois et une année (ce qui coule souvent en paiement anticipatif du loyer, chose interdite par la loi), d’autres abusent de leur droit de propriété pour modifier le prix du loyer pendant ou en cours du contrat sans motif valable, d’autres encore se réservent le droit de visiter l’immeuble à l’improviste, ce qui constitue souvent une violation et porte atteinte à la vie privée du locataire ou de ses dépendants.

Encore il sied de noter que, tel que le renseigne les réalités sur terrain, certains bailleurs perçoivent les frais de la garantie des tiers pendant que la maison est encore occupée par le précédant locataire et se constate ainsi une double perception de la garantie locative sur un même immeuble.  Certains autres vendent l’immeuble pendant que le contrat de bail n’est pas arrivé à terme et le locataire se voit déguerpit sans aucun préavis[16]. D’où se pose la question relative à la protection juridique du locataire contre les abus du bailleur qui s’estime avoir de l’autorité sur le locataire et qu’il peut de ce fait disposer de l’immeuble en location comme bon lui semble.

Les règles en rapport avec le préavis ne sont pas souvent respectées par les deux parties au contrat. C’est là encore un abus du droit de propriété auquel recours le bailleur en s’estimant supérieur au locataire et ne pouvant être contraint par aucune règle de droit pour lui dire ce qu’il doit faire de son immeuble. Les locataires aussi de leur côté mettent fin au contrat de bail sans préavis, ce qui préjudicie le bailleur dans ses droits. Il importe donc d’assurer une protection contre la résiliation abusive du contrat de bail issue d’une partie ou d’une autre.

En vue d’une amélioration des droits

Le droit au logement est garanti en droit congolais notamment avec les prévisions sur certains droits tels que : le droit à la vie privée, le droit au logement de qualité, le droit d’accès à la justice en cas de litige avec le bailleur, droit à une protection contre la discrimination dans le marché du logement ; mais les pratiques et les lacunes dans l’application de la loi n°15/025 du 31 décembre 2015 relative aux baux à loyer non professionnel entravent la réalisation effective de ce droit. Pour améliorer la protection juridique des locataires en RDC, il conviendrait de renforcer les mécanismes institutionnels spécifiques à la promotion des droits de locataires notamment le ministère de l’habitat qui doit prendre des mesures concrètes à imposer aux bailleurs afin de bien s’assurer cette protection. Le ministère de l’habitat peut aussi instituer une institution de suivi au niveau national et provincial qui aura pour mission principale d’identifier toutes les maisons données en location et veiller à ce que les contrats des baux résidentiels et socioéconomique respectent les prévisions de la loi. Cette institution dressera un rapport à soumettre au ministre à charge de l’habitat pour l’assainissement du secteur au cas où des problèmes persistent.

Somme toute, Etant un droit constitutionnellement garanti, le droit au logement devient contraignant pour l’Etat et constitue ainsi une obligation de résultat en ce sens que l’Etat est obligé de respecter, protéger et mettre en œuvre ce droit. Et selon les diverses législations, tant nationales qu’internationales, le gouvernement et les propriétaires des immeubles à location sont des débiteurs du droit au logement. Cependant la nécessité des mécanismes juridiques pour la protection des locataires en vue de l’effectivité de ce droit pose encore problème.

La loi de 2015 relative aux baux à loyers non professionnels et socioculturels dresse un paysage juridique typiquement approprié au bail résidentiel à même de protéger les locataires et par défauts les bailleurs. Quoi que les pratiques sur terrain ne soient pas toujours concordantes à la volonté du législateur, il a lieu de retenir quand même qu’il y a des avancées formelles très considérables telle que la forme écrite du contrat, les modalités du paiement du loyer et de la garantie locative. Pour renforcer l’effectivité de cette loi, il est nécessiteux d’envisager une protection plus rapprochée en punissant pénalement tous les contrevenants aux règles prescrites en matière de logement d’où l’obligation de la part de l’Etat congolais de protéger le droit de la propriété individuelle ou collective dès lors que celle-ci impacte sur le logement décent de la population. 

Critiquant cette loi de 2015 relative aux baux à loyers non professionnels, il est fait constat d’une entorse en matière d’accès égal au logement. Le pouvoir laissé aux propriétaires de décider qui sera le preneur, se fondant ainsi sur des critères non objectifs, est un danger et une discrimination quant à aux personnes à loger. Ainsi des sanctions doivent être édictées pour décourager ces genres de pratiques. L’Etat a aussi l’obligation de prévoir des logements sociaux en faveur des classes défavorisées telle que les réfugiés, les déplacés ou en cas des urgences telles que les incendies, les éboulements de terre, … car les services de logement offerts par les tiers sont nécessairement onéreux et en quantité réduite pour répondre immédiatement aux urgences et aux besoins des personnes défavorisées.

 

[1] Cf. Rapports annuels du Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit au logement présentés respectivement à la Commission des droits de l’homme (de 2001 à 2005) et au Conseil des droits de l’homme (depuis 2006), E/CN.4/2001/51, E/CN.4/2002/59, E/CN.4/2003/5, E/CN.4/2004/48, E/CN.4/2005/48, E/CN.4/2006/41, A/HRC/4/18, http://ap.ohchr.org/documents/dpage_f.aspx?s=35. Consulté le 16 août 2023. 

[2] Idem.

[3] BARBARA WILSON, « Le droit à un logement suffisant au sens du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels », RSDIE, 5/2008 (2008), pp. 431-56, p. 455.

[4] L’article 48 de la Constitution de la République Démocratique du Congo, modifiée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 (Textes coordonnés), 52ème année, in J.O RDC, numéro spécial, Kinshasa, 2011.

 

[6] Cfr Loi n° 15/ 025 du 31 décembre 2015 relative aux baux à loyer non professionnels. En ligne sur www.leganet.cd. Dans son champ d’application matériel, cette nouvelle loi s’applique exclusivement aux baux résidentiels et socioculturels car les baux à usage professionnels (les baux commercial, industriel, artisanal ou à tout autre bail à usage professionnel) font l’objet d’une réglementation par l’Acte uniforme OHADA portant sur le droit commercial général en son livre 6, titre 1er.

[7] C’est le cas de l’Arrêté Ministériel n° 052/CAB/MIN-UH/2018 portant instauration d’un contrat de bail type en République démocratique du Congo, in J.O.RDC., 1er février 2019, n° 3, col. 79, 11 décembre 2018.

[8] NGOY WALUPAKA, Le Droit au logement et sa mise en œuvre dans les pays en développement, Thèse de doctorat, Faculté de Droit de l’université de Genève, 2021, p. 329.

[9] Cf. chap. II, section 1ère de la Loi n° 15-025 du 31 décembre 2015 relative aux baux à loyer non professionnels. 

[10] Cf. Supra, infra 9. 

[11] Voir l’art. 2 de l’arrêté ministériel n° 052/CAB/MIN-UH/2018 portant instauration d’un contrat de bail type en République démocratique du Congo, in J.O.RDC., 1er février 2019, n° 3, col. 79, 11 décembre 2018.

[12] Aux termes de l’alinéa 1er de l’article 4 de l’ordonnance-loi n° 69/009 du 10 février 1969, le législateur rend imposables les revenus de la location des bâtiments et terrains. L’article 4 bis de ce même texte ajoute à cette disposition l’imposabilité de la mise à disposition, à titre gratuit, des bâtiments et terrains pour un usage professionnel tandis que l’article 5 en son point 2° traite du profit brut de la sous-location totale ou partielle de ces mêmes biens. Cfr J. MASTAKI NAMEGABE, Droit fiscal général, notes de cours, UOB, Fac-Droit, inédit, 2020-2021, pp. 230 et s.

[13] La loi sur les baux non professionnels dispose à son art. 11, point 6 qu’il est obligatoire pour le bailleur de supporter les impôts et taxes qui sont à charge des lieux loués. Il lui est interdit de les répartir sur les preneurs. 

[14] Cf. art. 2, point 9 de la Loi sur les baux non professionnels.

[15] Cf. art. 18 de la Loi sur les baux non professionnels.  

[16] Entretien avec Meshack Bahizire, locataire dans la commune d’Ibanda, le 24 septembre 2023.