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La situation actuelle au Cameroun defie la mission de l'église et des xavériens



Il me semble que trois sont les grands défis que la mission d’évangélisation a à relever aujourd’hui au Cameroun : l’impact des cultures occidentales  sur les cultures camerounaises ; la vocation prophétique de l’Eglise et celui de la Vie Consacrée.

Ci de suite, quelque réflexion sous forme de notes. Les analyses se limitent à certains aspects (‘négatifs’, les fragilités) qui me semblent les plus significatifs. L’observatoire privilégié est celui des grandes villes comme Yaoundé (sorte de ‘laboratoires’ des nouvelles tendances).

A : QUELQUES ELEMENTS D’ANALYSE

I – LE CHOQUE DES CULTURES

La mentalité et le style de vie occidentaux sont désormais devenus au Cameroun le nouvel ‘Evangile’. A partir des villes, il arrive rapidement dans les campagnes, les villages.

Il existe un problème profond d’identité

  • le jeune ne se reconnaît plus dans la culture de ses grands-parents ou même de ses propres parents
  • il se sent quand même conditionné par elle (et même un peu attiré)
  • il se projette plutôt dans un monde irréel : celui des média ; il en goûte quelques aspects, il rêve de s’y plonger totalement (partir ou ‘évoluer’ jusqu’à avoir tout comme les blancs)

Ce tiraillement intérieur, tout en étant plus évident chez les jeunes, est devenu en quelque sorte un fait ‘culturel’ qui est propre à toutes les couches sociales.

Les valeurs, ‘le bien’, est ce qui vient de l’Occident parce qu’il permet d’être bien (avoir, jouir, pouvoir)

L’homme qui a réussi est celui qui est ‘bien’, qui peut faire ce qu’il veut.

Typique en ce sens est l’influence des loges et la tendance à se réfugier dans les cercle de nature mafieuse pour accéder au rang de ‘ceux qui comptent’.

Il existe également un certain complexe d’infériorité par rapport notamment à la technologie occidentale. La mentalité néo-libériste entre à tous les niveaux. Les stratégies économiques imposées par la BM et l’FMI sont accueillies les yeux fermés ( ?) par ceux qui ont les rênes en main et qui en attendent de grands bénéfices personnels. Les aspects sociaux ne sont tenus en aucun compte. Les conséquences sont sous les yeux de tout le monde et il le seront de plus en plus les années à venir.

Corruption, autoritarisme, impunité, dissolution de l’autorité traditionnelle, des liens familiaux, du sens du bien commun, des solidarités traditionnelles, etc

Il manque de modèles et les structures éducatives significatives (ni la famille, ni l’école, ni – encore moins – les médias n’ont plus une valeur éducative)

II – LA VOCATION PROPHETIQUE DE L’EGLISE

L’Eglise camerounaise fournit des services sociaux importants et elle est appréciée pour cela. Les religieux sont davantage en prime ligne dans ce domaine. Certains prêtres et évêques sont également sensibles. Mais en général, on peut dire que la dimension socio-politique de la vie chrétienne est sous-estimée comme si elle ne faisait pas partie de l’Evangile.

L’Eglise assure une réponse au ‘besoin religieux’ (rites, prières, bénédictions, exorcismes, …) mais pas très bien non plus, étant donné que les gens cherchent d’autres réponses.

Il s’agit d’une Eglise parcourue par des contrastes et des divisions entre clergé et laïcat, clergé diocésain et religieux, religieux camerounais et expatriés, entre évêques eux-mêmes et entre prêtres.

La sensibilité tribale prévaut sur celle de l’Evangile aussi au niveau des évêques, des prêtres et des religieux/ses.

Les séminaires forment des intellectuels. Beaucoup de prêtres donnent l’image de fonctionnaires ; les laïcs n’ont que peu de confiance en leurs prêtres à cause des problèmes de gestion et de fidélité au célibat qui scandalisent les laïcs, mais aussi pour un sens pastoral plutôt faible chez certains.

Les évêques sont plus administrateurs que pasteurs et prophètes. Trop dépendants des directives romaines et craintifs de prendre des initiatives autonomes répondant aux réalités locales.

Dans son ensemble, l’Eglise catholique est vue comme une puissance. Elle est crainte et combattue en même temps par les grands. Il y a une excessive dépendance économique de l’extérieur.

L’Eglise camerounaise est timide, peureuse, embrouillée,  désincarnée, avec une faible incidence sur la réalité sociale.

III – VIE CONSACREE ET PROPHETIE

Il manque encore une incarnation africaine-camerounaise de la vie consacrée : elle est encore dépendante des modèles (et des finances) occidentaux, même dans ses meilleures expressions.

Les religieux sont comptés parmi les puissants, les grands, à cause des moyens dont ils disposent : structures, finances….

Parler de la ‘pauvreté’ des religieux est un langage incompréhensible pour la masse des gens puisqu’ils vivent au-dessus de la moyenne et que leur ‘pauvreté spirituelle’ n’est pas très perceptible. L’obéissance n’est pas comprise puisque les religieux/ses ont souvent des responsabilités de direction. Rares sont ceux qui croient au respect du célibat de la part des consacrés, pour des raisons culturelles et à cause du mauvais exemple de certains religieux/ses.

Pour beaucoup d’aspirants, la vie consacrée est une voie de salut : la plupart veut entrer dans les institutions internationales, plus ‘sûres’ et présentant meilleures garanties et avantages. La vie religieuse masculine n’est presque pas connue du fait du grand nombre de religieux qui sont en même temps prêtres.

Si elle est connue, elle n’est pas appréciée parce que trop ‘discrète’, peu ‘visible’ (et rentable ?) comme celle des prêtres.

La tendance est à garder et entretenir une vision cléricale de la vie consacrée même féminine.

La présence de la vie consacrée a – peut-être trop – une coloration paternaliste et assistantielle. Elle a du mal à devenir libération.

Les dérives autoritaires des régimes politiques qui se sont succédés rendent la présence des religieux/ses encore timide et peureuse dans la dénonciation.

Les congrégations continuent à cultiver chacune son propre petit jardin sans réelle ouverture et collaboration réciproques. La plupart sont préoccupées d’avoir des vocations locales et de remplir les vides laissés dans les Pays d’origine plus que d’assurer des présences missionnaires – prophétiques.

ET ALORS ?

J’ai parfois le sentiment que les générations futures nous jugeront avec beaucoup de sévérité pour ne pas avoir été capables, nous, l’Eglise au Cameroun, d’exploiter l’énorme potentiel de valeurs dont l’Evangile dispose pour proposer au Pays une alternative qui soit valable.

Si les limites dont souffrent l’Eglise et les institutions de vie consacrée actuellement sont vraies selon l’esquisse d’analyse faite, il est évident que nous manquons de charge prophétique. Non seulement nous ne sommes pas en mesure – ou nous n’avons pas le courage - de contester de façon efficace et ouverte les réalités anti-évangéliques (et donc anti-sociales) dans lesquelles le Pays plonge de plus en plus, mais nous sommes dans une position de très grande fragilité étant donné nos nombreuses contradictions.

Sans vouloir baptiser toutes les réalités socio-économiques, et sans prétendre pour l’Eglise une quelconque position de privilège, nous devrions constituer la ‘mauvaise conscience’ de la société, mais surtout être propositifs à partir de notre vie et de nos initiatives concrètes.

Dans le brouillard général, être une référence claire, transparente (ce qui ne veut nullement dire ‘triomphaliste’). Dans la décomposition des structures socio-éducatives, proposer concrètement un modèle d’homme et de citoyen dont les racines (pas nécessairement l’affiche) sont profondément évangéliques.

B : COMMENT RELEVER LES DEFIS

Quelque principe général d’orientation

  • Former des ‘hommes nouveaux’ selon l’Evangile, personnes mûres, à forte sensibilité communautaire et sociale
  • Dans tous les cas, garder le lien avec la réalité vécue par les gens. Tout faire à partir ‘d’en bas’.
  • Elaborer des supports théoriques (bibliques et théologiques), soit une anthropologie chrétienne authentiquement ‘africaine’ qui tienne en compte les racines mais surtout les aspirations de l’homme camerounais.
  • Avec le laïcat africain: réflexion, discernement, élaboration des idées et des orientations, action et auto-critique.
  • Ce n’est plus le temps des ‘Donquichotte’ : il est nécessaire d’unir toutes les forces vives, laïques et religieuses
  • Les deux catégories sensibles à privilégier : les décideurs et les jeunes (les futurs responsables des familles et de la société), mais aussi les jeunes familles.

I – CONCERNANT LES DEFIS CULTURELS

1 – AMPLIFIER AU MAXIMUM L’ANNONCE

a : Formation des cadres – décideurs
  • évêques – prêtres – religieux
  • enseignants – journalistes
  • étudiants
  • chercheurs – intellectuels
  • politiciens – administrateurs
b : Les Média
  • télé, radio, presse, spectacle, internet …

2 - METTRE EN ROUTE DE SIGNIFICATIVES EXPERIENCES ALTERNATIVES

  • Communautés mixtes, insérées (dans la simplicité, partage, communion)
  • Communautés œcuméniques
  • Présence parmi les victimes du choc culturel : quartiers périphériques, jeunes sans travail et sans encadrement, femmes…en impliquant de plus en plus les forces du Pays

3 – COLLABORATION OECUMENIQUE ET INTERRELIGIEUSE

sur les grands thèmes de l’heure : paix, démocratie, lutte à la pauvreté/corruption/tribalisme/racisme, relations Nord-Sud…Actions concrètes.

4 – CONNAISSANCE DE LA CULTURE

ou plutôt des cultures : les racines, les phénomènes qui caractérisent les temps actuels (notamment dans les villes, laboratoires d’avenir), les tendances.

Pas tellement de l’archéologie, mais du discernement sur le présent.

L’Eglise est une ‘tour de garde’: elle est appelée à regarder l’avenir pour aider le chrétien à être armé face aux défis qui se présentent et à donner une contribution positive pour que les cultures évoluent au sein des grandes valeurs chrétiennes

II – CONCERNANT L’EGLISE

Même dans ce domaine, les stratégies indiquées pour les défis culturels sont valables.

Nous pouvons ajouter ce qui suit :

1 : FAIRE LE MENAGE A LA MAISON

  • Lutte contre les injustices à l’endroit des collaborateurs, salariés, enseignants des écoles catholiques…
  • Lutte contre la corruption, clientélisme, népotisme, esprit courtisan vis-à-vis des puissants ; maux qui existent parmi les évêques et les prêtres (et religieux)
  • Renoncement aux privilèges et richesses (propriétés, …)
  • Création de structures pour une réelle communion des biens entre ecclésiastiques.

2 : VISER L’AUTONOMIE ECONOMIQUE AVEC DETERMINATION

en commençant par les associations et les paroisses

3 : REFORMER PROFONDEMENT LES SEMINAIRES

pour former des chrétiens et des pasteurs. S’acheminer vers la vie communautaire pour les prêtres et les diacres.

Proposer, comme possibilité concrète, l’envoi en mission.

4 : DE NOUVELLES ORIENTATIONS PASTORALES.

Exemples :

  • Généraliser les Communautés Vivantes avec la Parole au Centre et l’Enseignement social de l’Eglise
  • Formation des laïcs. Re-évangélisation des baptisés
  • Suspendre le baptême des enfants et généraliser le catéchuménat pour les jeunes et les adultes, sérieux et prolongé, conçu comme expérience de vie.

5 : MENER DES ACTIONS DE DENONCIATION

par groupes : ex. Conférence Episcopale, Catholiques et Réformés ensemble (et, pourquoi pas ? Musulmans), Associations de prêtres, de religieux/ses, Mouvements laïcs ….

III – CONCERNANT LA VIE RELIGIEUSE

Il nous faudrait des fondateurs charismatiques camerounais ou de toute façon africains, qui sachent se libérer du carcan des modèles traditionnels occidentaux.

En attendant :

  • encourager de nouvelles expériences, du genre ‘fraternités’ qui vivent de leur travail. Une possible expérience pourrait être  la constitution de communautés ‘inter-congrégationnelles’, formées de membres de diverses familles, pour des tâches précises.
  • Présence à 360 degrés dans la vie sociale : la vie consacrée est pour le monde. Libération plutôt que assistance. Conscientisation.
  • Couper en bonne mesure les financements de l’extérieur. Moratoire sur la construction de structures imposantes.
  • Les Instituts internationaux : se mettre avec décision sur le chemin de l’acculturation et des présences insérées.

C’est à partir de propositions fortes – exigeantes – radicales qu’on peut aussi discerner les véritables intentions des candidats à la vie religieuse. La situation actuelle est trop polluée par des ambiguïtés et elle ne permet pas un discernement sérieux.

Ne pas faire des candidats à la vie consacrée des déracinés.

  • Faire connaître et encourager les instituts séculiers qui peuvent aider la vie consacrée à se décléricaliser et devenir plus laïque.
  • La Conférence des Supérieurs Majeurs devienne organe qui garde en éveil l’attention des religieux (depuis la formation), des autorités religieuses et du peuple chrétien aux injustices sociales et aux grands phénomènes sociaux qui caractérisent le Pays. Que l’attention soit sur les défis missionnaires plus que sur les problèmes internes.

C : QUEL EST LA TACHE SPECIFIQUE DES XAVERIENS ?

L’AUDACIEUX PROJET ….

Etre hommes ‘de frontière’:

  • aux frontières de la société (catégories marginalisées, minorités, régions enclavées….)
  • aux frontières de la culture (là où on élabore et on vit une ‘nouvelle culture’, et là où les cultures sont écrasées par la modernité ; dialogue avec les cultures)
  • aux frontières de l’Eglise (non-croyants, non plus croyants, œcuménisme, dialogue inter-religieux, non-chrétiens, groupes humains qui ne sont pas atteints par l’institution)
  • aux frontières de la spiritualité (‘Voir Dieu…en tout’ : une spiritualité contemplative – prophétique qui entrevoit et rencontre la présence du Verbe là où il est difficile à voir)
  • aux frontières de la théologie (élaboration de nouveaux supports théologiques pour la mission de l’Eglise dans le monde actuel et pour l’évangélisation de l’homme camerounais d’aujourd’hui)
  • aux frontières de la vie consacrée (retour à un style de vie plus purement évangélique ; éliminer – autant que possible – la mentalité cléricale ; non seulement travailler, mais vivre avec les laïcs (susciter les xavériens laïcs); grande ouverture sur les autres expressions de vie consacrée pour une collaboration effective.

Ces quelques intuitions sont, bien évidemment, à préciser et concrétiser. Elles demanderaient – si elles intéressent quelqu’un – un débat, une critique, …