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Autour de la mort, hier et aujourd’hui, au Burundi



 

Paix à ton âme mon arrière grand-Père KANONKO, à toi mon grand-Père BUTOYI et tes frères RUGOKE, BUSUMBUGURU et GIHIMBARE, à toi ma grand-mère NAMUNUKUZI. Cet article sur la réalité de la mort dans la culture burundaise se veut le fruit de l’expérience directe, des éléments recueillis auprès de mon grand-père, des prérequis de l’école, de la lecture de certains littéraires comme le plus connu J. Baptiste NTAHOKAJA (1920-1995), prêtre et professeur à l’université du Burundi.

Soulignons en passant que le Burundi est un peuple de tradition orale, ce qui justifie l’insuffisance de la documentation écrite sur notre histoire.  Les premiers écrits ne sont que des compilations des témoignages recueillis ici et là par le blanc (colonisateur et/ou missionnaire) qui ne manque pas à ajouter son accent critique.

Annonce de la mort

Quand une personne meurt, on informe toute sa famille, ses voisins, tous ses amis et connaissances : tel a été rappelé au ciel (yitavye Imana).  Dès la réception de la nouvelle, quelques interdits et pratiques manifestent ces moments douloureux: Interdiction formelle de cultiver et de manger la viande. Cultiver, parce que l’on considère comme si c’est le déterrer et manger la viande comme si c’est consommer sa chair. Tout le monde se rase la tête en signe de consternation, d’affliction et de deuil.

Enterrement

Normalement, on enterre le même jour. Traîner signifie le déshonorer, le laisser être dévoré par les bêtes. D’où le sens de l’injure : urakaribwa n’ibisiga (Littéralement: que tu sois dévoré par les bêtes) dont sa signification est  « que tu ne trouves pas de sépulture ». Seuls les malfaiteurs devraient subir cette punition. Les personnes mortes d’une mort violente comme dans un accident, foudroyées, emportées par la rivière, etc., restaient aussi sans sépulture car cette mort était considérée comme un châtiment d’Imana(Dieu). Aujourd’hui, on y pense encore mais on les enterre quand même.

L’expression « yaryamiye ukuboko kw’abagabo » (il s’est endormi contre le bras des hommes) est chargée de significations. En effet, le bras des hommes dont on parle est le bras droit car pendant l’enterrement, si la personne qui est morte est un homme, le cadavre doit être couché contre le bras droit. La main droite/le bras droit est un symbole de la droiture, de la vigueur, de la bravoure, de la défense. L’homme est le pilier de la famille (igikingi c’irembo). Quant à la femme, elle est enterrée contre le bras gauche. Si la personne qui est morte était encore célibataire, elle est enterrée avec une braise éteinte (elle ne laisse aucune trace, donc sans descendance, elle s’est éteinte). Au Burundi, mourir sans laisser de descendance c’est une malédiction ou une punition de Dieu. Parmi les plus grandes bénédictions de Dieu, la progéniture vient en tête. Les autres sont : une vaste terre/propriété, un grand troupeau et la longévité. Cette conception reste d’actualité et est en conflit avec la nouvelle éthique mondiale au sujet du planning familial.

On enterre dans une natte ou un cercueil. Après avoir creusé, on dépose doucement dans la tombe et à tour de rôle en commençant par les personnes les plus proches du défunt, on jette un peu de terre dans la tombe tout en la tamisant entre les doigts, un souhait que la terre de nos ancêtres lui soit douce.

Gukaraba

Après l’enterrement suit le rite de « gukaraba » (se laver les mains). Il s’agit de boire un peu de vin de sorgho (impeke) ou une bière de banane (urwarwa). Ce rite est obligatoire pour ne pas s’attirer les malédictions du défunt. On s’assure que tous ceux qui ont participé à l’enterrement y ont goûté et on n’y exige pas la quantité. Avec le protestantisme, ses adeptes prennent un peu de thé.

Le deuil proprement dit

Le deuil se fait au domicile du défunt. Les familles, les familiers, voisins, amis et connaissances continuent à venir compatir avec la famille éprouvée. On n’y va jamais les mains vides. Tout le monde s’assure à amener ne fut-ce qu’un petit rien (nourriture, argent, le bois de chauffage, etc.). Les réactions diffèrent selon les tempéraments : certains pleurent, d’autres manifestent un silence de regret, d’autres essayent de calmer les autres, etc.

La levée de deuil

Après sept jours pour les hommes, cinq jours pour les femmes et les enfants (y compris les célibataires), on procède à la levée de deuil partielle. Cet événement a plusieurs noms et gestes symboliques dont le premier est ce qu’on appelle kunywa umubira (Boire l’umubira : Bierre de sorgho ou vin de banane à moitié fermenté). Les autres noms sont: kuganduka(lever le deuil), kwisukako ibirohe (s’asperger avec l’eau salle), gutanga amasuka(donner les houes), kuva ku rupfu (se détacher de la mort), etc. Le jour de la levée de deuil partielle est annoncé le jour de l’enterrement. Arrivé le jour J, la famille amène une cruche (aujourd’hui encore dans certains milieux ou une casserole dans d’autres) remplie d’Umubira, le chef de la famille prend la parole (Ijambo) et annonce ou rappelle pourquoi ils se rassemblent. Il boit le premier puis d’autres personnes boivent après lui. on boit ensuite les autres boissons qui sont venues d’ailleurs. L’assemblée aura la parole pour livrer des témoignages sur la vie du défunt, pour promettre quelque chose à la famille éprouvée ou encore pour réclamer une promesse ou une dette que le défunt aurait faite avant sa mort, etc. Si le défunt avait eu un enfant hors mariage par exemple, cet enfant doit être présenté ce jour-là. Après ce jour, rien ne pourra plus être réclamé. Avec ce rite, les interdictions sont levées. On reprend la vie normale. La levée de deuil définitive se fera une année plus tard.

Relation entre le défunt et la famille

Hier comme aujourd’hui, dans la vie d’un Burundais, les morts ne sont pas morts, pour reprendre BIRAGO DIOP. Les morts entretiennent des relations avec les leurs et les influencent en quelque sorte par les conseils qu’ils ont laissé, le rôle qu’ils jouaient dans la famille, etc. Hier, on les rendait un culte spécifique appelé « guterekera imizimu) (nous y reviendrons un peu plus tard), un culte que le Christianisme a aboli. Aujourd’hui, on offre des messes à leur intention.

Quoique supprimé dans la pratique, dans la conception du burundais, les morts se transforment en esprit dont nous éclaircissons les catégories :(imizimu, ibihume: cf. J. Baptiste NTAHOKAJA, imigenzo y’ikirundi, UB, 1978)

 imizimu

L’UMUZIMU (IMIZIMU au pluriel) est une forme de survie d’une personne après sa mort et son enterrement. Etymologiquement dérivé du verbe kuzima qui signifie vivre (différent de kuzíma qui signifie s’éteindre). D’où les noms ubuzima(la vie ou les conditions de vie), muzima(le vivant), etc.
Le murundi a  toujours cru que la vie d’une personne ne se termine pas avec la mort, il reste quelque chose d’invisible et d’intouchable. Cette nouvelle vie est née  un certain temps après sa mort, quand le corps est décomposé et transformé. L’umuzimu est incorporel, mais la personne garde les appétits et les désirs et est capable d’une activité plus puissante de la vie et peut causer la maladie et le malheur. Il est irritable si la famille manque à ses instructions ; il peut attirer des malheurs: des conflits irréconciliables, le décès d’enfants et de femmes, infertilité inexpliquée, difficulté de trouver de maris pour les filles, etc.). Pour pallier, il faut recourir  au guérisseur (umupfumu). Celui-ci a le rôle de diagnostiquer l’attaque des esprits ancestraux (intezi z’abakuru), identifier l’umuzimu responsable et prévoir l’offre de réconciliation selon les coutumes (guterekera imizimu). Avec le Christianisme les BAPFUMU (guérisseurs) ne sont pas regardés d’un bon œil. S’ils existent, ils travaillent en cachette. Les tenants de l’évangile ne cessent de prêcher contre leur mission, les taxant de menteurs, d’auteurs de conflits familiaux, d’anti-évangiles, etc.

 IBIHUME(ibisigo, ibikange, ibimwenyi, ibisizimwe.)

Le terme Ibihume (igihume au singulier) signifie : les êtres semblables aux fantômes, les esprits sauvages. Il s’agit des âmes des personnes qui sont morts d’une mort violente et n’ont pas trouvé d’enterrement.
Parfois, Igihume devient visible dans le brouillard, comme une ombre, ou montrant dans la nuit des lumières tamisées et mystérieux, avec des voix inhumaines ou des bruits inexplicables. Ils sont aussi appelés Ibisigo ou Ibikange. Ils vivent dans des vallées, dans des rochers, parfois dans des plantations de bananes et dans la solitude. Ils sont vindicatifs et ciblent les personnes qui les approchent. Ils peuvent faire des aveugles, des paralysies, ils provoquent des attaques rhumatismales ou des allergies, même la folie. Toutes ces maladies peuvent être traitées, mais la seule façon de se protéger est d’éviter de s’approcher des endroits où ils vivent. Dans la légende populaire, ils sont souvent assimilés aux porcs et sont géants (ikimwenyi, igisizimwe). Ils ont une portée pédagogique et sont souvent évoqués dans les contes autour du feu.

Revenons dans quelques lignes sur le culte des ancêtres : GUTEREKERA IMIZIMU 

Ce culte était rendu  aux ancêtres pour les honorer, se rappeler d’eux et de leurs œuvres, demander  leur intercession auprès d’IMANA (Dieu), leur offrir leurs descendants (abuzukuru), etc. Un beau repas et une bonne boisson (surtout ce que le trépassé aimait) était déposés dans une hutte appelée Ingoro y’Imizimu (palais des esprits) à côté du cimetière et d’autres offres que l’umupfumu (le guérisseur) pouvait proposer. Ce culte était aussi rendu aux ancêtres pour les calmer quand ils se révoltaient ou pour devancer leur colère. Les enfants n’étaient pas permis d’approcher le lieu, car ayant encore une tête légère, ils pouvaient s’attirer des conséquences néfastes des esprits. Le cimetière public qui éloigne le défunt des siens est une politique du missionnaire visant à combattre cette pratique.

De nombreuses fêtes se rangent derrière ce culte entre autres : gutanga inkwano (verser la dot) : strictement interdit d’épouser une fille sans la dot au risque de s’attirer les malédictions de ses ancêtres : stérilité, mort des enfants, pauvreté, etc. ; guhekereza uwibarutse(cérémonie de porter l’enfant au dos pour la première fois après sa naissance), kujana abana kwa ba sekuru(amener les enfants chez leurs grands parents maternels), etc. Ces pratiques continuent mais nombreux ignorent leur signification première. Ce thème peut faire objet d’un article à part.

 

Disons enfin que les temps sont devenus autres, les pratiques aussi, la culture détruite par le christianisme. Mais il faut entrer dans le quotidien du Burundais pour se rendre compte combien il est encore encré dans sa tradition. Beaucoup de choses ne s’expriment pas au grand jour mais se vivent. Ou encore se font par ignorance de cause ou avec une intention différente. Une fois manifesté un comportement semblable à celui du trépassé par exemple, on dit qu’il incarne son Umuzimu. La pratique de la dot est devenue une célébration presque vide de sens ou assimilée à une exigence sociale ou chrétienne. Or, avons-nous souligné, la dot s’enracine dans le culte des ancêtres. On le fait sans le savoir. Nous retrouvons dans la culture burundaise beaucoup d’éléments qu’il fallait plutôt christianiser que déraciner.