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Apprendre d’un prêtre guérisseur : Père Meinrad-Pierre Hebga sj



Durant sa vie terrestre et après sa résurrection, le Christ a communiqué et transmis à ses disciples le charisme et le ministère de guérison comme un des signes accompagnant ceux qui ont eu foi en Lui (Lc9, 1 ; Mc16, 15-17).

Ce ministère de guérison est à comprendre comme un élément intégral de la mission . De nos jours, les « églises » dites de « réveil spirituel » et les sectes de toutes sortes qui pullulent en Afrique semblent tirer plus profit de ce précieux ministère de guérison au détriment des plusieurs paroisses catholiques d’Afrique ; qui en sont restées à la dénonciation des bavures de ces nombreux guérisseurs chrétiens autoproclamés.

Dans un contexte comme celui des Églises d’Afrique où la question de cures spirituelles est plus qu’une simple priorité pastorale, il est utile que les pasteurs d’âmes redynamisent la pastorale des malades en lien avec le ministère de guérison spirituelle. Au fait, l’Église continue encore aujourd’hui d’être bénéficiaire de ce charisme. Certains de ses fils et filles exercent le ministère des malades avec foi et zèle, apportant ainsi, au nom de Jésus-Christ, guérison ou plus ou moins soulagement à toutes ces personnes en quête de recouvrement de la santé.

Les lignes qui suivent voudraient rendre synthétiquement compte de l’expérience pastorale d’un des fils de l’Église catholique d’Afrique, le jésuite camerounais Meinrad-Pierre Hebga . Il a été bénéficiaire du charisme de guérison et il a exercé le ministère des malades avec un zèle pastoral inégalé. Il nous semble que son expérience pastorale, selon son propre témoignage, tel que relaté dans certains de ses écrits, peut inspirer les pasteurs d’âmes en Afrique, dans leur ministère des malades.

I. Genèse du charisme et principes directeurs du ministère.

Selon le père Hebga, à aucune étape de sa formation, il n’avait envisagé, entrevu ou s’était préparé au ministère des malades. Il tient plutôt comme préparation providentielle et objective, à ce ministère, l’initiation à un certain nombre de disciplines scientifiques dont l’apport respectif lui est apparu très précieux . Encore enfant, il accompagnait son père visiter les malades. Jeune prêtre, il aimait visiter les malades à l’hôpital central de Yaoundé, au point que son amour et sa compassion envers les malades en sortaient renforcés . 

Le ministère qui, dans la suite, débordera les frontières du Cameroun, est presque né du hasard, confie-t-il. C’est dans les années 50, dans la paroisse de Bot-Makak, dans le Nyong et kellé, que le jeune père jésuite a eu ses premières expériences de guérison. Les gens venaient le voir et lui confiaient leurs peines. Il priait pour eux et certains se trouvaient guéris. Avec le temps, la renommée du jeune prêtre guérisseur ne faisait que se répandre. De lui, on disait qu’il savait bien accueillir et écouter les gens et que Dieu lui avait donné une main heureuse.

Parlant de l’origine de son charisme, Hebga dit que c’est le peuple de Dieu qui l’a aidé à comprendre qu’il avait reçu le charisme de guérison. Le peuple de Dieu, dit-il, a un instinct spirituel assez sûr, qui détecte, non seulement les sentiments qui animent leurs bergers, mais aussi les dons et charismes divers que l’Esprit-Saint leur a distribués . Convaincu que Dieu lui avait accordé le charisme de guérir spirituellement et soucieux de mieux aider le peuple de Dieu, le père Hebga voulut comprendre son ministère et se fixa ainsi quelques principes dans l’optique de la cure spirituelle. En voici quelques uns  :

  • L’amour des hommes et des femmes, la volonté de venir en aide à ceux qui souffrent doit prendre le pas sur le respect humain ou la crainte de paraître superstitieux.
  • En Afrique, la maladie n’est pas affaire privée, individuelle, mais manifestation d’une rupture d’équilibre, d’une perte d’harmonie à l’intérieur du groupe familial ou clanique
  • Toute maladie a une dimension subjective qu’il ne faut point escamoter pour tenir compte exclusivement des données dites objectives. Avant d’être soigné, le malade a besoin d’être accueilli et écouté. 
  • Même les maladies dites imaginaires sont cause de souffrance pour l’homme et la femme. D’elles aussi, il faut libérer le patient. Il est rare que la seule moquerie y suffise.
  • Les cures spirituelles sont possibles. 
  • Même les maladies organiques peuvent être traitées spirituellement.
  • La médecine ordinaire est le premier recours normal contre toute maladie, car Dieu veut que l’homme se serve de son intelligence. 
  • Il est souverainement important que la cure spirituelle, surtout chrétienne, soit gratuite ; cela en réponse à la recommandation du Seigneur (Mt10, 8).
  • Il est souhaitable que le thérapeute spirituel ait une solide formation doctrinale et scientifique, pour éviter, autant que faire se peut, illusion, erreurs, déviations. Cette solide formation est surtout souhaitable par respect pour Dieu et pour les gens.

II. L’exercice quotidien du ministère

Parlant du ministère en général et celui des malades en particulier, Hebga confie : « Le peuple de Dieu n’accorde pas sa confiance à quelqu’un seulement parce qu’il est prêtre ou pasteur ou parce qu’il fait correctement son métier pastoral. Il l’accorde chez qui il découvre un amour de compassion et de miséricorde, un esprit de service, de prière personnelle et communautaire, et surtout celui qui accueille avec sympathie et sait écouter leurs misères de toutes sortes » . Il pense que les gens de différentes régions et de toutes les couches de la société qui venaient le rencontrer avaient vraiment confiance en lui. 

Pour ne pas apparaître comme un guérisseur parmi tant d’autres, il fallait orienter ces hommes et ces femmes à la source de la guérison. Ainsi à la question de savoir : « Quelles sont les maladies que vous guérissez ? » Il répondait : « ce n’est pas moi qui guéris c’est le Seigneur Jésus, notre Sauveur » .

Au quotidien, le père Hebga exerçait ce ministère de deux manières : personnellement et communautairement. Personnellement, il accueillait les gens, les écoutait, priait avec eux et pour eux. Après avoir invité les malade à faire confiance à Jésus, nous insistons, dit le père, sur la hiérarchie des valeurs qu’enseigne la prière du Notre Père : d’abord la gloire de Dieu et sa justice, le reste- nourriture, vêtements, santé- nous sera donné par surcroît, si telle est la volonté de Dieu .

Communautairement, il exerçait ce ministère avec le mouvement du Renouveau Charismatique. Selon lui, d’ailleurs, le ministère de guérison ne devrait jamais apparaître comme l’apanage d’un individu isolé, mais comme l’œuvre commune de tout le peuple de Dieu . Avec les membres du Renouveau Charismatique, les séances de prières mettaient aussi l’accent sur l’adoration, la louange et l’action de grâces, plutôt que sur la demande et l’intercession. 

Pasteur zélé et serviteur de malades, Hebga reste un modèle pour les pasteurs africains. Avec raison il nous dit: « Les Églises d’Afrique gagneraient beaucoup en mettant en honneur la pastorale des malades. Une prédication, ajoute-t-il, accompagnée d’œuvres de puissance est la Bonne Nouvelle qu’attendent nos peuples. Il ne faut point les décevoir par manque de foi et par la peur de l’incrédulité d’autrui » .

III. Que devons-nous faire ?

Après cette lecture sommaire de l’expérience pastorale du père Hebga, c’est la question des auditeurs de Jean Baptiste qui nous vient à l’esprit : « Que devons-nous faire ? » (Lc 3, 10). Il n’y a pas de solution pastorale magique en ce qui concerne les problèmes de maladies et de cures spirituelles. Par ailleurs, à propos d’un problème si grave, on ne peut rester sans rien faire, sans trahir l’Évangile. À titre programmatique, évoquons quelques pistes :

1. Face aux nombreux malades de nos Églises, il n’est pas question que tous les prêtres deviennent maintenant des exorcistes. L’Église a de normes précises à ce propos (Canon 1172, §1 et 2). Mais une présence plus accentuée des prêtres aux côtés des malades est à souhaiter. Cela exige aux prêtres du temps, de la patience et surtout de la compassion. Voilà pourquoi, la visite aux malades, pas seulement pendant les temps forts de l’année liturgique, mais en tout temps, est à redécouvrir comme une réponse évangélique crédible par rapport au « show et au spectacle » auxquels se livrent les multiples« églises de réveil spirituel ». À cette visite, il faut ajouter la capacité du prêtre à écouter et donc à apprendre à s’asseoir et avoir plus de temps pour « les gens ».

2. Une tentation guette les prêtres aujourd’hui dans les Églises d’Afrique : abandonner la visite des malades aux membres laïcs de la communauté. Nous ne postulons pas l’omniprésence des prêtres dans tous les services de la communauté. Nous pensons plutôt à une présence humble d’un prêtre accompagnant les membres laïcs de temps en temps lors de leur visite aux malades. Cette pastorale d’ensemble serait plus que prophétique aujourd’hui dans la mesure où elle apparaitrait comme une compassion communautaire en acte.

3. Le père Hebga dans l’exercice de son ministère des malades a collaboré avec les membres du Renouveau charismatique. Ce mouvement de prière accorde beaucoup d’importance aux cures spirituelles. Il devient ainsi une grâce donnée à la communauté. Il y a ici un axe pastoral à partir duquel la suspicion qui pèse sur ce mouvement peut être levée, si les prêtres acceptent de collaborer avec ses membres, mais sans vouloir « contrôler » les activités de ce groupe, aujourd’hui très précieux dans plusieurs paroisses.

4. Malgré l’urgence de la question pastorale de la maladie, il convient de réaffirmer que la paroisse n’est pas un « hôpital ». Père Hebga nous rappelle que : «la médecine ordinaire est le premier recours normal contre toute maladie, car Dieu veut que l’homme se serve de son intelligence ». Cela dit, la paroisse a la possibilité d’organiser des rencontres  ou des sessions de formation au sujet de la santé et cela sans se substituer à l’hôpital. 

On ne peut aujourd’hui continuer à réduire toute rencontre paroissiale à la catéchèse sacramentaire. Les sacrements et les liturgies, dit Eboussi Boulaga, ne sont pas de palliatifs ou des substituts au manque de soins de santé, d’éducation et de nourriture . De thèmes de formation aux paroissiens sur la sexualité, la prévention contre les différentes maladies (le VIH-Sida et autres MST, la malaria, le Virus d’Ebola…), sur la médicine dite traditionnelle (faire appel à un herboriste)…sont à découvrir comme faisant partie du ministère de guérison. On comprend alors pourquoi, face à la question de maladies et de cures spirituelles, il est urgent de tenir ensemble pastorale des malades et pastorale de la santé. 

Sans céder à la hantise des miracles, affirmons que la bonne santé physique reste une question-test pour la crédibilité de l’annonce du salut dans nos Églises d’Afrique. On ne peut l’offusquer sous prétexte de ne pas céder au chantage des prophètes faiseurs de miracles des « églises de réveil ». Pour la foi chrétienne, le salut ne se réduit ni à la destinée de l’âme individuelle dans l’au-delà, ni à la résurrection de la chair à la fin des temps. Il implique, l’aménagement d’un monde habitable par l’homme, la bonne organisation de nos sociétés politiques, le respect de la dignité de la personne humaine et de ses droits.

En ce sens, il n’est pas exagéré de considérer la bonne santé physique comme une de « ces ‘réalités avant-dernières’ qui sont le signe du Royaume de Dieu où il n’y aura plus ni souffrance ni mort, et qui nous permettent de l’attendre dans la foi et l’espérance »  . S’occuper des malades et de toute problématique liée à la santé devient ainsi une manière de témoigner du Royaume de Dieu en œuvre dans l’histoire des hommes et des femmes de notre temps.

Dans des pays où l’assurance-maladie est une manne réservée aux privilégiés et où se soigner dignement est trop difficile, faute de moyens financiers, on ne devrait pas s’étonner que les gens accourent vers les Églises, avec l’espoir de recouvrer gratuitement la santé. Doit-on les décevoir en croisant les bras? La réponse est non. Certes, pour les Églises du continent la tâche est lourde. Elle exige imagination, audace et créativité. Mais comme disait J.-M. Ela: «  nous sommes dans l’impasse, mais, en dépit des apparences, nous ne pouvons oublier que l’Afrique espère plus que jamais une réponse des Églises »  ; même au sujet de la santé.