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Missionnaires Latinos : « Venez au secours des Eglises d’Afrique » (Ac 16, 9)

Parmi la nouvelle vague de missionnaires qui œuvrent présentement dans les Eglises d’Afrique, ceux de l’Amérique latine, (Brésil, Mexique, Colombie…), les « latinos », occupent une place de choix. 

Dans un papier précédent, nous examinions à quelle condition la présence des missionnaires asiatiques serait bénéfique à l’action évangélisatrice dans les Eglises d’Afrique subsaharienne. Pour cela, nous énumérions quatre attentes. Ces lignes s’inscrivent dans la même perspective ; mais cette fois au sujet des missionnaires latinos.

En essayant de désigner la figure du noir dans l’imaginaire du latino ordinaire, nous soutenons que la richesse histoire de combat pour la libération, grâce à la foi chrétienne, dont sont héritières les Eglises d’Amérique latine peut servir de background aux missionnaires latinos en vue d’une mission attentive aux implications sociales de la foi dans les sociétés africaines. Mais pour cette fin, il sied avant tout que les missionnaires venant du « nouveau monde » capitalisent cette histoire du combat - l’attention particulière à la figure du « pauvre »- qui a marqué la mémoire de leurs Eglises.

Un tel paradigme missionnaire répond bien à une des attentes actuelles des Eglises d’Afrique. Le fait que le récent synode des évêques pour l’Afrique (4-25/10/2009) ait porté sur de questions de justice, de paix et de réconciliation (Cf. Pape Benoît XVI, Africae Munus) donne à penser que les Eglises d’Afrique sont en quête d’une mission chrétienne comprise comme mission chrétienne transformatrice des conditions sociales des hommes et femmes du continent, grâce la foi au Christ et les moyens d’action que donne la foi. En vue d’une telle mission conjuguée (africains et latinos), il y a des préalables à poser pour éviter des malentendus entre frères et sœurs, tous issus des Eglises-sœurs du Sud.

I. Pour une purification de la mémoire à propos de l’histoire de l’esclavage

La première image que le latino ordinaire a d’un noir africain, c’est celle d’un esclave amené par les négriers pour le travail forcé. Il est aujourd’hui connu que lors du combat pour la fin de l’esclavage, les défenseurs de la liberté et la dignité humaine des indigènes d’Amérique latine considéraient comme tolérable l’esclavage des noirs. Même un grand homme comme Bartolomé de las Casas adhérait à une telle bavure, lorsque par exemple il demanda et obtint la mise en esclavage des Noirs à titre de substitution à la liberté des Indiens d’Amérique[1].

A quoi aboutit une telle histoire dans l’imaginaire du latino ordinaire ? C’est l’image du « noir », homme de troisième degré ; selon l’ordre suivant : l’homme européen, le latino et ensuite le noir. Sans vouloir qualifier les missionnaires latinos de racistes, il y a à craindre que leur premier contact avec les chrétiens d’Afrique subsaharienne, soit conditionné par un tel imaginaire. Du point de vue de la « motivation » de la mission, la tentation qui guetterait les latinos serait celle d’être mus par la pitié vers les « pauvres noirs » à libérer[2]. Ici, la mission s’apparenterait alors au service caritatif, bien sûr avec un brin de condescendance.

Un regard attentif sur les comportements et les paroles de certains missionnaires latinos œuvrant dans les Eglises d’Afrique, laisse parfois transparaître une telle image de la mission et un tel préjugé ; c’est-à-dire l’image du « noir » à aider à se libérer et ensuite à évangéliser. Voilà pourquoi, il nous semble que la première attente des Eglises d’Afrique à l’égard des missionnaires latinos, c’est d’apprendre à regarder les africains tels qu’ils sont et non selon le prisme l’histoire de l’esclavage. Ce que les chrétiens d’Afrique attendent de leurs frères et sœurs latinos, c’est un travail de purification commune de leur mémoire, marquée par la barbarie de l’esclavage, la colonisation et aujourd’hui le néocolonialisme. Et dans ce processus de « purification commune de la mémoire », il faut croire qu’il n’y a pas d’un côté l’africain vaincu et humilié à libérer et de l’autre côté, le latino victorieux, fier et libérateur.

Qu’ils le veulent ou pas, les missionnaires latinos sont obligés d’admettre que tout comme les peuples d’Afrique, leurs histoires portent la cicatrice causée par leur rencontre avec l’Occident colonisateur. En cela, africains et latinos partagent une même histoire de la souffrance. Et c’est ensemble qu’une telle histoire peut être assumée et envisagée comme un « souvenir dangereux » (Jean Baptiste Metz) qui engage au combat pour la libération. Dans une telle optique, la foi au Christ libérateur que les missionnaires latinos disent venir partager avec leurs frères et sœurs d’Afrique n’est pas dépourvue d’éclairage et de signification.

En effet, la foi chrétienne n’est pas le récit de l’histoire d’un vainqueur. Au contraire, elle est l’histoire d’un vaincu : l’innocent crucifié injustement (Lc 23, 41). Mais la violence injuste qui s’est exercée contre Jésus, a entraîné un jugement de Dieu : la résurrection (Ac 2, 2-24). En agissant ainsi, Dieu a pris ouvertement position pour le crucifié et par conséquent pour toutes les victimes de la violence dans l’histoire. C’est ce parti-pris de Dieu à l’égard des opprimés de l’histoire qui engage les disciples du Christ à la lutte mais sans recourir ni à la haine ni au mépris de l’adversaire[3]. En tout cas, le théologien allemand J. M. Metz a mis cette dimension de la foi chrétienne en lumière comme fondement de lutte et d’espérance des opprimés dans ce qu’il a qualifié de : «  caractère dangereux du souvenir de la passion et la résurrection de Jésus »[4].

Il serait surprenant que la longue tradition de lutte pour la libération des pauvres, au nom de la foi, qui a marqué les Eglises d’Amérique latine ne marque pas la praxis missionnaire de latinos en Afrique subsaharienne. Les Eglises d’Afrique se réjouiraient si les missionnaires latinos se mettaient à travailler avec eux pour faire de la foi chrétienne, une force historique des pauvres, selon la belle formule de Gustavo Gutierrez (1982). En tout cas, les chrétiens d’Afrique aimeraient que leurs frères et sœurs latinos les soutiennent dans leur combat pour sortir de la résignation, l’indifférence et de la conception « apolitique de la suite du Christ », héritées du modèle bourgeois de la mission.

Nous avons, ci-haut, ce qui nous semble une deuxième attente des Eglises d’Afrique à l’égard des missionnaires latinos. Sa matérialisation passe par une solidarité effective avec les pauvres des communautés qu’ils servent. Cela signifie leur présence dans les communautés, des contacts réels avec des gens de toute catégorie et cela sans complexe. Fait partie de cette attente : un style de vie simple, moins bourgeois, moins ostentatoire et respectueux de quelques sensibilités africaines comme la pudeur, l’attention à la tenue vestimentaire…

Il nous semble que jusque là, le style de vie de missionnaires latinos à l’œuvre dans les Eglises d’Afrique n’a encore permis aux chrétiens d’Afrique de saisir ce que signifie effectivement « l’option préférentielle pour les pauvres » et en quoi la pastorale des Communautés ecclésiales de base ou Vivantes sont une panacée à la tiédeur missionnaire ou à une pastorale routinière d’administration et de soin des « âmes ». Bref, les chrétiens africains attendent avec impatience que les nouveaux missionnaires du sud traduisent en pastorale en Afrique les grandes orientations du CELAM (Conférence épiscopale d’Amérique latine et des Caraïbes) spécialement Medellin (1968) et Puebla(1979).

Les Eglises d’Amérique latine savent bien les méfaits d’une collaboration confuse entre les Eglises et les Etats ; particulièrement l’alliance entre la hiérarchie ecclésiale et la bourgeoisie dirigeante, économique et politique. Une telle alliance a toujours un prix à payer : « le silence de l’Eglise, car la foi désormais se met au service du pouvoir politique et doit se plier à ses critères »  dit J. Ratzinger, pape Benoît XVI[5].

Mais les Eglises d’Amérique latine ont aussi connu et connaissent encore de belles figures prophétiques comme Rutilio Grande s.j., Alfonso Navarro s.j., (les deux assassinés le 12mars 1977 à San Salvador), le martyr Oscar Romero (assassiné le 24mars 1980), Helder Camara, Gustavo Gutierrez, Leornado Boff, Jon Sobrino…Ces figures sont des flammes évangéliques qui éclairent au-delà du continent sud américain. Nous ne doutons pas que les missionnaires latinos envoyés au service des Eglises d’Afrique les connaissent, qu’ils ont médité et reçu leurs enseignements et leurs pratiques pastorales.

Dans les Eglises d’Afrique, les figures prophétiques ne manquent pas. Plutôt, leurs enseignements ont du mal à trouver une assise sociale, faute des corps sociaux pour les incarner. On peut citer les gens comme Mgr Munzihirwa (assassiné en 1996), les camerounais Engelbert Mveng et Jean-Marc Ela, des évêques courageux comme Joseph Malula, Christian Tumi ; un politicien comme le tanzanien, feu président Julius Nyerere…Il y a aussi de messages de certaines Conférences épiscopales africaines comme celle de la RDC (CENCO) qui sont parfois d’un courage exceptionnel, mais justement faute d’actions concrètes et mal diffusés, ils restent inconnus du grand public et par conséquent, ils s’apparentent à des jérémiades ou un catalogue de bonnes idées, mais sans impact sur le terrain du champ sociopolitique.

Par conséquent, riches de leur expérience de luttes avec « les pharaons » pour libérer les captifs de l’égoïsme de dirigeants et instruits par les échecs de certaines actions entreprises chez eux , les Eglises d’Afrique attendent que les missionnaires latinos les accompagnent dans leur lutte de sortie de la captivité dans laquelle « les pharaons africains » détiennent les peuples. Mais aussi, les fidèles du Christ qui sont en Afrique apprécieraient que leurs frères et sœurs latinos alertent le clergé africain sur le risque du «césaro-papisme » ou une collaboration ambigüe avec les tenants du pouvoir séculier économique et politique.

Ce rapport confus est présentement médiatisé par l’offre de cadeaux luxueux (voitures, meubles), sponsorisations de fêtes et de pèlerinages, construction des édifices religieux…Le dominicain camerounais Eloi Messi Metogo ne s’y trompe pas lorsqu’il affirme : « bien des évêques et prêtres africains entretiennent des rapports ambigus avec les dirigeants politiques et les chefs d’entreprise ; au lieu de les évangéliser, ils leur demandent de l’argent »[6].

La troisième attente des Eglises d’Afrique à l’égard de latinos est donc qu’elles les accompagnent sur ce chemin de la découverte d’un rapport évangélique entre Eglises et Etats ou d’une saine et fructueuse navigation entre Dieu et César. Pour une telle mission, il est requis des missionnaires latinos une connaissance approfondie et sérieuse des réalités socioculturelles et politiques africaines. Cette connaissance semble faire défaut à beaucoup. Cela a comme conséquence, une appréciation superficielle des réalités sociopolitiques et culturelles africaines et une insertion minimale dans la pastorale d’ensemble ; surtout la pastorale sociale des Eglises locales.

II. Du patrimoine culturel latino : le partage de la foi comme célébration de la joie de vivre

La quatrième attente est relative au patrimoine culturel latino ; surtout la joie de vivre. En effet, les peuples latinos en général ont un sens élevé de la jovialité. On note chez eux un penchant naturel à la « joie de vivre ». Et c’est pour cela qu’ils aiment la fête, les danses et les chants… Pour un missionnaire, cela n’est pas sans signification pastorale. Cette joie de vivre peut conduire à concevoir la mission comme célébration joyeuse du salut. On voit ici qu’une telle vision missionnaire n’est pas dépourvue de pertinence dans les Eglises d’Afrique.

Au fait, à cause de « présumées déviations de l’inculturation de la liturgie en Afrique», il s’observe une tendance chez certains missionnaires à réduire au maximum l’aspect émotionnel et festif dans les célébrations liturgiques. Il s’ensuit que certaines célébrations liturgiques ont l’air funéraire. Cette tendance s’observe aussi chez certains prêtres autochtones africains, chez qui l’attachement rigide aux « rubriques » ne laisse lieu à aucune créativité dans la célébration liturgique. La présence des latinos dans les Eglises d’Afrique peut aider à recouvrir l’aspect festif des célébrations liturgiques, au moment où les chrétiens catholiques sont en train d’affluer vers les Eglises évangéliques ou celles dites de « réveil spirituel» pour y retrouver un peu de joie dans la célébration du salut.

On peut et on doit dire plus sur l’apport culturel de latinos dans les Eglises d’Afrique. Leur richesse culturelle saurait se limiter à la joie de vivre. Nous avons juste voulu mentionné cet aspect comme un de plus visibles de leur patrimoine culturel. La culture de latinos est très certainement trop riche et instructive pour les chrétiens d’Afrique ; dans une mission conçue comme rencontre et partage entre frères et sœurs. Mais pour cette fin, il faut que les uns et les autres acceptent la confrontation et même le heurt que crée le choc des cultures. Ici, nous avons essayé de traduire les impressions issues de nos rencontres et échanges personnels avec quelques frères et sœurs latinos.

Toute impression humaine est relative et donc susceptible d’amendement, de correction ; voire de réfutation. Face à une appréciation de la présence et de la mission de « l’autre », la porte au débat contradictoire et aux conflits des interprétations doit toujours reste ouverte ; par ailleurs, avec un grand sens d’assumer ses propres responsabilités, au nom de la vérité. Nous avons tenté ci-haut un tel exercice en ayant à cœur ce principe : 

« Jamais choquer par plaisir mais provoquer parfois par devoir, en sachant que nos interlocuteurs sont susceptibles de mesurer l’enjeu du débat et que nous sommes tous mus par le souci constant de construire une famille des enfants d’un même Père : Dieu, grâce à l’annonce de la Bonne Nouvelle ».

Comme l’apôtre Paul et ses compagnons traversant la Mysie et descendant à Troas, les missionnaires latinos sont priés de répondre à ce cri; non du macédonien, mais des chrétiens d’Afrique : « …Venez à notre secours ». Qu’ils s’assurent que Dieu les appelle à annoncer la Bonne Nouvelle en Afrique et rien que celle-ci (Ac 16, 9-10).

[1] Cf. Article, « Bartolomé de las Cas », in Wikipedia.

[2] Ela J.-M., Le cri de l’homme africain. Questions aux chrétiens et aux Eglises d’Afrique, Paris, L’Harmattan, 1980, p. 38.

[3] Metz J. B., La théologie de la pratique révolutionnaire, Paris, Ed. Universitaires, 1974, p. 131-132.

[4] Souletie J.-L., « La théologie politique et le combat contre la pauvreté », in Transversalités, n°111(3/2009), p. 112.

[5] RATZINGEZ J. BENOIT XVI, Jésus de Nazareth. 1. Du baptême dans le Jourdain à la transfiguration, Paris, Flammarion, 2007, p. 59.

[6] MESSI METOGO E., « Aparecida 2007. Un point de vue africain », in Spiritus, n°193(12/2008), p. 474.