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Ce que les Eglises d’Afrique attendent des missionnaires non-Occidentaux



A l’exception des communautés chrétiennes Coptes, les communautés chrétiennes d’Afrique sont les fruits de la mission et la civilisation occidentales. Les bienfaits et les méfaits d’une telle œuvre sont connus.

Le bienfait le plus évident est l’existence effective des communautés chrétiennes d’Afrique. Quant à ce qu’il convient d’appeler « les péchés de la mission», la liste a longtemps été dressée par les africains et les non-africains, parfois avec un brin de ressentiment. Lien entre mission et colonisation, prosélytisme irrespectueux des cultures africaines, orgueil de la puissance présumée, matérielle et intellectuelle ; transformation du sens du salut chrétien en morale des mœurs…sont autant de « méfaits de la mission » souvent épinglés.

Il existe une littérature abondante portant sur cette critique. Parmi les ouvrages les plus anciens, mais qui n’ont pas perdu leur pertinence, on peut juste mentionner : J. Carden, The Ugly Missionary (1964) ; J. A. Scherer, Missionary, go home ! (1964) ; Mongo Beti, Le pauvre Christ de Bomba (1956) ; M. P. Hebga, Emancipation des Eglises sous tutelle. Essai sur l’ère post-missionnaire (1976) ; F. Eboussi Boulaga, Christianisme sans fétiche. Révélation et domination (1981)…

Aujourd’hui, la diminution du personnel missionnaire occidental dans les Eglises d’Afrique exige qu’on ne s’enlise plus sur les débats à propos des méfaits de la mission d’hier, mais qu’on s’interroge sur le nouveau visage du personnel missionnaire qui débarque dans les Eglises d’Afrique. Parmi ce personnel, il sied de noter une présence en hausse des Asiatiques (Philippins, Indiens, Indonésiens…) et des Latino-américains (Brésiliens, Mexicains, Colombiens…). A notre connaissance, jusque là, leur présence et leur mission dans les Eglises d’Afrique n’ont pas encore été questionnées.

Ces lignes s’inscrivent dans cette perspective. Essayant d’abord de mettre en évidence ce qui nous semble les « bienfaits » de leur présence, nous formulons ensuite ce que nous considérons comme étant des « attentes » des chrétiens d’Afrique à l’égard de ces nouveaux évangélisateurs issus des Eglises-sœurs du Sud. Si nous désignons les bienfaits de leur présence indistinctement, nous nommerons les attentes distinctement, en commençant par les Asiatiques. Le prochain papier portera sur la présence missionnaire latino dans les Eglises d’Afrique.

I. Les bienfaits de la mission non-Occidentale dans les Eglises d’Afrique

Le tarissement des vocations missionnaires en Occident a contraint beaucoup de congrégations religieuses à recourir à leur personnel asiatique et Latino. Un tel personnel est apprécié, non pas parce qu’il est une main d’œuvre missionnaire de suppléance, mais parce qu’il vient révéler aux Eglises d’Afrique un autre aspect de la catholicité de l’Eglise : l’Eglise n’est pas « Rome » et le modèle occidental de la mission n’épuise pas les possibilités d’annonce de l’Evangile.

La mission en terres africaines peut se penser autrement, dans la mesure où le modèle qui y a longtemps prévalu n’incarne pas la perfection. Une mission basée, non sur l’hégémonie économique et culturelle, mais sur l’humilité d’une recherche commune de la Vérité, qu’est Jésus-Christ (Jn 14, 6) est possible. La présence des missionnaires issus des Eglises, jadis terres des missions, s’offre aux Eglises d’Afrique comme une possibilité en vue d’un tel « style » missionnaire, car dans cette dynamique, personne ne prétend disposer d’un savoir certain à transmettre au sujet du Christ et son Evangile.

Par ailleurs, il serait erroné d’imaginer que l’arrivée des missionnaires asiatiques et latinos en Afrique instaure une rupture nette entre l’ancien modèle missionnaire et celui que leur présence inaugure. Penser ainsi, c’est se méprendre sur la dynamique de l’œuvre de l’évangélisation qui ne procède pas par rupture nette, mais toujours par « continuité dans la rupture »[1]. Ici la rupture s’identifie avec la fraicheur que les missionnaires venant du « Sud » apportent aux Eglises-sœurs d’Afrique. Leur rapport aux chrétiens d’Afrique, à leurs cultures et à leurs contextes sociopolitiques…devraient instaurer un nouveau paradigme missionnaire en Afrique.

Tandis que la continuité est à penser en lien avec l’unique Evangile du Christ dont les missionnaires ont la charge d’annoncer, hier comme aujourd’hui. En ce sens le programme missionnaire est le même : témoigner du Christ mort et ressuscité. Mais la continuité peut s’identifier aux méfaits de la mission d’hier, car rien ne rassure que les nouveaux évangélisateurs sont  immunisés contre de tels égarements ; surtout s’ils refusent d’apprendre des erreurs du passé. Il revient aux Eglises d’Afrique de dire clairement à leurs frères et sœurs, dans la foi, Asiatiques et Latinos, ce qu’elles attendent d’eux pour éviter les malentendus d’hier qui ont parfois nui à l’œuvre d’annonce d’Evangile.

II. Des Asiatiques : le vœu d’une mission courageuse respectueuse de l’altérité

La rencontre entre l’asiatique et l’africain comporte un paradoxe : une similitude  et une méconnaissance. D’une part, il existe une profonde similitude entre les peuples asiatiques et ceux d’Afrique quant à ce qui concerne le rapport très prononcé au divin, la conception holistique de la vie ; et en lien avec l’évangélisation, une conversion au christianisme par le truchement de l’Occident.

D’autre part, il existe un fossé très grand relatif à la connaissance que les uns ont des autres. En effet, par rapport aux occidentaux qui ont vite « connu » les peuples d’Afrique par le double prisme de la colonisation et de la mission, les asiatiques en général ont une connaissance très rudimentaire des peuples et des cultures d’Afrique. On note cela facilement dans les conversations et les questions qu’ils posent au sujet de réalités africaines. Il en va de même de beaucoup de peuples d’Afrique dont le monde asiatique leur semble lointain ; à l’exception des gadgets chinois et indiens qui inondent leurs marchés.

Pour les missionnaires asiatiques venant en Afrique, ce paradoxe comporte une chance, s’ils s’astreignent à connaître les peuples d’Afrique auxquels ils sont envoyés. S’ils sont humbles, ils peuvent découvrir avec bonheur cette similitude profonde à laquelle nous venons de faire allusion. Mais pour ce faire, il convient qu’ils apprennent à connaître les africains, leurs us et mœurs, par eux-mêmes et à leurs contacts. En ce sens, il sied qu’ils disent non à toute intoxication qui pourrait venir de leurs confrères ou consœurs du Nord. Même s’il faut aussi reconnaître que certains humbles missionnaires occidentaux ont une profonde connaissance des cultures et des peuples d’Afrique.

C’est cette connaissance de première-main, médiatisée par des rencontres interpersonnelles, qu’il convient de considérer comme la première attente des Eglises d’Afrique à l’égard des missionnaires asiatiques. Etudier, s’instruire au sujet des cultures africaines, apprendre à parler les langues africaines (au moins celles des peuples auxquels ils sont envoyés)…font partie de cette première exigence.

La deuxième attente se formule ainsi : Les Eglises d’Afrique ne demandent ni or ni argent aux évangélisateurs asiatiques (Ac 3, 6). Elles sont bien conscientes de leur dénuement matériel. Ce qu’elles leur demandent, c’est de partager ce qu’ils ont : la foi au Christ et leur grande richesse culturelle. Dans cette optique, la mission est à concevoir comme « partage », un partage humble fondé sur le respect de l’altérité culturelle. Sur ce registre de l’échange culturel, les chrétiens d’Afrique attendent que leurs frères et sœurs d’Asie leur apprennent le sens du silence et de la méditation. Dans un contexte marqué par ce que le pasteur congolais Kä Mana appelle les « spiritualités du bruit » ces valeurs venant d’Orient peuvent apporter un air frais dans les communautés chrétiennes d’Afrique en quête de rencontre personnelle avec le Christ, grâce à la méditation de l’Evangile, à l’adoration et à la prière silencieuse. Ces valeurs spirituelles font défaut à beaucoup de communautés chrétiennes africaines comme on le note lors de célébrations liturgiques agrémentées par une musique presqu’enivrante et des chants dignes d’un show musical.

La troisième attente porte sur la relance du dialogue interreligieux. En effet, les grandes religions asiatiques comme l’hindouisme et le Bouddhisme ont résisté à l’avancée du christianisme. Sans appartenir officiellement à une de ces  religions, il n’y a pas de doute que les chrétiens d’Asie partagent un fond traditionnel religieux commun avec leurs compatriotes. Et il n’est pas dit que le christianisme missionnaire a mis fin à une telle appartenance.

Dans cette perspective, les Eglises d’Afrique attendraient que la présence des missionnaires asiatiques les aide à relancer la question du dialogue interreligieux, cette fois en prenant au sérieux le fait des « religions traditionnelles africaines », car le Concile Vatican II, malgré sa grande ouverture religieuse, les avait tout simplement ignorées (cf. Nostra Aetatae). Il est certain, note le père Eloi Messi, que ces religions n’ont pas de magistère et ignorent le prosélytisme. Mais au lieu de privilégier le monde institutionnel et hiérarchique du dialogue, force est de chercher à comprendre ce qui n’est pas une conception embryonnaire ou tronquée de la religion mais une autre conception de Dieu, de la religion, impliquant une autre organisation de la communauté[2]. La présence missionnaire asiatique pourrait encourager une telle approche.

Les chrétiens asiatiques et les missionnaires ayant œuvré en Asie ont relancé avec pertinence la question chrétienne du pluralisme religieux. Les figures comme M. Amaladoss, R. Pannikar, J. Dupuis…sont d’une notoriété publique. Les Eglises d’Afrique attendent de missionnaires asiatiques, puisant à  leurs sagesses ancestrales millénaires et aux recherches récentes de leurs frères et sœurs, qu’ils les aident à reposer la question de la nouveauté de « la foi chrétienne » tout en respectant les « conditions dans lesquelles l’appel de Dieu les a trouvés » (1Co 7, 24), c’est-à-dire : aux milieux de leurs cultures et leurs religions ancestrales.

Quatrième attente : la consolidation de la mentalité« self-reliance ». En effet, Le dénuement matériel des missionnaires asiatiques s’offre aussi aux Eglises d’Afrique comme une chance car il permet d’accélérer la fin  de la mission basée sur les constructions des édifices religieux et socio-caritatifs, la « plantatio ecclesia » et la mentalité d’assistés qu’une certaine pratique missionnaire a instauré dans les Eglises d’Afrique moyennant dons et divers services. Cette phase de la mission a eu ses lettres de noblesse et ses tares. Il est temps qu’elle cède la place à une mission fondée sur les rencontres humaines, sur la consolidation des communautés chrétiennes grâce aux sacrements, à la catéchèse et une formation spirituelle et sociale puissant aux sources de la Parole de Dieu et au riche trésor social de l’Eglise.

Un tel visage de la mission est très exigeant. Il demande aux nouveaux missionnaires d’être courageux, car c’est de cette manière qu’ils peuvent briser le complexe dans lequel semble les enfermer parfois les réalisations de leurs prédécesseurs. Les Eglises d’Afrique doivent beaucoup au modèle occidental de la mission (écoles, églises-bâtiments, œuvres sociales…et surtout la grande œuvre de la première évangélisation). Il ne faudrait pas que les nouveaux-venus pensent qu’ils commencent à Zéro et se complaisent dans une critique indifférenciée allant de la dénonciation des « Eglises d’assistés » au paternalisme des anciens évangélisateurs.

On aimerait les voir travailler avec les communautés chrétiennes d’Afrique pour qu’elles continuent et accélèrent le chemin déjà entamé de l’auto-prise en charge matérielle et spirituelle. Pour ce faire, il sied que les missionnaires asiatiques s’initient à collaborer avec les laïcs des  Eglises où ils sont envoyés. Dans cette optique, il leur faut un grand élan, car jusque là, ils se sont montrés peu ouverts à cette collaboration. Il serait un péché grave que ces évangélisateurs d’Orient consacrent encore la marginalisation des fidèles laïcs d’Afrique comme ce fut le cas avec une praxis missionnaire fondée sur l’ecclésiologie de la hiérarchie (Dieu-clercs-laïcs).

Les Eglises d’Afrique apprécient beaucoup l’image d’une mission humble menée par des gens simples, désireux de témoigner de l’amour du Christ, de sa compassion et sa miséricorde. Les missionnaires venant d’Asie sont capables d’incarner une telle figure  missionnaire, car dépouillés du confort matériel et de l’assurance du savoir. En ce sens, ils peuvent donner beaucoup aux communautés chrétiennes d’Afrique. Il leur faut de la vigueur pour s’assurer qu’ils ont à offrir à leurs frères et sœurs africains et que donc la mission conduite par l’Occident n’a pas tout dit et fait.   Jusque là, plusieurs d’entre eux donnent l’impression que ce courage, ce zèle digne des apôtres, leur fait défaut. Peut-être croient-ils que leurs prédécesseurs ont tout fait et qu’eux ils n’ont qu’à perpétuer l’ancien modèle missionnaire? A eux de répondre. Mais une chose est claire : les Eglises d’Afrique attendent d’eux  un « style missionnaire  neuf ».

Notes

  1. Pour la compréhension de cette dynamique, Cf. Discours du pape Benoît XVI aux cardinaux en 2005.
  2. MESSI METOGO E. « Dialogue avec les religions traditionnelles et l’Islam en Afrique noie », texte inédit. p. 1. Texte à trouver en ligne.