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Depuis 1965, l’Église catholique a reconnu le dialogue avec les hommes et les femmes d’autres religions comme partie intégrante de sa mission. Cette reconnaissance s’est matérialisée avec la publication du décret conciliaire : Nostra Aetate. 

L’Église et les religions non chrétiennes, du 28 octobre 1965. Dès lors, aux dires du pape Paul VI, l’Église s’est elle-même découverte comme « conversation » (Pape Paul VI, Ecclesiam suam, n°67). Elle a invité tous les chrétiens catholiques à s’engager sur le chemin du dialogue au niveau individuel et collectif, partout où ils vivent.

Cette tâche du dialogue interreligieux, l’Église l’a accomplie, de différentes manières, surtout avec les religions dites « grandes » ou « religions majeures du monde » : l’Hindouisme, le Bouddhisme, le Judaïsme et l’Islam. Notons ici que le dialogue interreligieux ne s’est pas beaucoup intéressé aux religions traditionnelles d’Afrique et d’ailleurs. On ne peut que regretter cette omission !

Nonobstant cette omission, relevons que pour matérialiser ce souci d’ouverture aux autres religions - surtout les grands monothéismes - beaucoup d’initiatives ont été entreprises, fondées sur la foi en un seul Dieu, Créateur du ciel et de la terre et sur la conviction de la destinée commune de l’humanité. C’est ainsi qu’on peut comprendre les différentes rencontres d’Assise entre leaders religieux du monde, initiées par le pape Jean Paul II (1986, 1993 et 2002) et continuées par Benoît XVI (2011), des efforts communs pour une connaissance mutuelle, des études théologiques, des actions caritatives d’ensemble, des initiatives pour la paix et la justice dans le monde…

Alors que tous les croyants sont reconnaissants pour ce qui a été accompli et s’engagent à continuer le chemin du dialogue pour le bien de notre monde divisé, il sied de remarquer que certaines questions urgentes ont surgi, particulièrement à cause de la multiplication et l’honneur dus à la violence et aux meurtres pour de raisons dites « religieuses ». Les attentats de Paris contre les journalistes du très provocateur journal satirique Charlie Hebdo et ceux contre la superette Cacher en janvier 2015, la croissance des crimes commis par le soi-disant État islamique, le groupe Boko Haram au Nigeria, au Tchad et au Cameroun et ceux commis par El Shebab en Somalie et au Kenya, particulièrement le scandaleux massacre à l’université de Garissa en avril de cette année, ont certainement choqué la conscience de plusieurs personnes, y compris celles qui n’appartiennent à aucune confession religieuse.

Indéniablement, les facteurs politiques, économiques et autres ont joué et jouent encore un rôle très déterminant dans cette violence et ces meurtres. Sur ce, il n’est pas exact d’évoquer les seules raisons religieuses comme motifs de ces crimes inhumains. Dans son livre : The myth of interreligious violence: Secular Ideology and the Roots of Modern Conflict, Oxford University press, 2009, traduit en français sous le titre de : Le mythe de la violence religieuse, Paris, Éd. de L’Homme nouveau, 2009, le théologien américain William T. Cavanaugh a montré, avec des arguments solides, que dans la propagation actuelle de la violence et des meurtres, les motifs religieux sont souvent évoqués comme « prétextes ». Les vraies raisons sont, selon lui, politiques et économiques dont l’État-Nation moderne, sans Dieu, est à la fois le commanditaire et le bénéficiaire. 

La commission théologique internationale a elle - même récemment publié un document où elle récuse la thèse selon laquelle il existe un lien nécessaire entre le monothéisme et la violence. Ce document de la CTI est : Dieu Trinité, unité des hommes. Le monothéisme chrétien contre la violence. (cf. Documentation catholique, n°2516 (octobre 2014), pp. 48-83.

Par ailleurs, comme les auteurs des crimes et des meurtres clament leur identité religieuse - les membres de Boko Haram and El Shebab, par exemples, se disent eux -mêmes musulmans - il y a une nécessité aujourd’hui d’interroger la capacité des religions et leurs adeptes à être des facteurs de paix, d’unité et de réconciliation entre les peuples. Dès lors, les objectifs du dialogue interreligieux ont besoin d’être repensés, si pas redéfinis. De nouvelles voies de témoignage de la foi en un seul Dieu Créateur de tous que confessent spécialement les croyants de trois grands monothéismes du monde ont besoin d’être explorées.

Les musulmans et les chrétiens, peuvent-ils s’unir pour défendre la minorité chrétienne lorsqu’elle est persécutée par des groupes religieux extrémistes ou par un État prétendument trop laïc? Y-a-t-il possibilité pour les juifs et les chrétiens de conjuguer leurs efforts pour défendre et protéger les droits et la dignité des minorités musulmanes dans des pays où leur droit à la liberté religieuse est nié et où elles sont persécutées à cause de leur identité religieuse ? On ne peut présentement éviter des questions de ce genre. Dans un monde où les personnes sont en train d’être tuées et discriminées à cause de leur identité religieuse, le dialogue interreligieux ne saurait demeurer apolitique sans virer au folklore. Il ne peut non plus se limiter à une sorte d’un « doux consensus », juste pour éviter de conflits ; sans courir le risque d’être insignifiant.

Loin de mots et de discours purement académiques, il convient d’identifier et d’imaginer des signes concrets de promotion et de protection des groupes religieux minoritaires. Et cela, en s’écartant des discours politiques démagogiques propagés par des politiciens qui ne croient plus en rien. Dans cette perspective, le cas de monsieur Foday Kamara est une perle précieuse. Il s’avère nécessaire de le garder et le faire connaître. Et c’est tout le propos de ces lignes. Il nous semble que Mr. F. Kamara est un vrai exemple du dialogue interreligieux en « acte » ; dans le sens de la promotion et du soutien à un groupe religieux minoritaire.

Qui est Mr. Foday Kamara ? Il est le directeur de l’école primaire de Walia, Paroisse de Mongo Bendugu/ Diocèse de Makeni-Sierra Leone, une école catholique. Par sa foi, F. Kamara est musulman. Alors que j’étais en visite dans son école, j’ai été agréablement surpris de l’entendre se présenter comme : directeur, musulman et catéchiste. Catéchiste ici renvoie à celui qui enseigne la « doctrine chrétienne » ou transmet la foi chrétienne.

Naturellement, j’étais curieux de comprendre comment un musulman de profession, peut promouvoir le christianisme en enseignant le catéchisme aux non chrétiens. À ma question, F. Kamara a répondu ainsi : « je crois fermement que notre village, à dominance musulmane, a besoin d’une présence chrétienne. Cette présence pourrait nous aider à comprendre qu’il n’y a pas que les musulmans dans le monde. Ou encore qu’il n’y a pas qu’une seule manière d’adorer Dieu. C’est pour cela que je me suis décidé d’aider et d’encourager les enfants qui voudraient devenir chrétiens ».

De ce qui précède, il n’y a aucun doute qu’en enseignant le catéchisme, F. Kamara promeut le christianisme dans son village. Il est tout aussi vrai qu’on peut se demander comment quelqu’un peut enseigner la doctrine chrétienne sans qu’il n’y adhère lui-même. Car la tradition de l’Église catholique ne tient jamais les catéchistes comme étant des personnes qui transmettent un message extérieur qui n’aurait aucune incidence sur leur vie. Les catéchistes sont censés croire ce qu’ils enseignent. Autrement dit, enseigner le catéchisme est un exercice de transmission de sa propre foi. 

Pour notre ami catéchiste musulman, ce n’est pas le cas. Il s’emploie juste à aider les enfants à connaître et comprendre les rudiments ou les notions de base de la foi chrétienne. Pour le faire, il se sert du matériel que lui offre le curé de la paroisse qui, en réalité, est le responsable de la catéchèse dans le village. Mais lorsque le curé n’est pas là, c’est F. Kamara qui se charge de l’enseignement du catéchisme. Aussi, lorsque le père vient au village de Walia, le dimanche, pour le service de la Parole de Dieu, c’est F. Kamara qui l’aide à appeler les enfants et les organiser. Il sert aussi de traducteur.

Dans un village où aucun adulte n’est chrétien, l’aide de Mr. F. Kamara est vraiment précieuse. Et par conséquent le fait qu’il soit musulman devient secondaire. Importent surtout sa disponibilité et sa sincérité à aider les enfants dans leur découverte de la foi chrétienne. Notons que parmi les catéchumènes de Walia, il y a deux enfants de Mr. Foday. On ne peut ainsi que le louer. À sa manière, il aide à saisir une des visées du dialogue interreligieux : ne pas chercher à convaincre les autres à renoncer à leur foi, mais dans une démarche de compréhension commune, s’entraider dans l’approfondissement de sa foi, dans la vraie adoration du Dieu auquel on croit et dans le témoignage d’un amour sincère.

C’est une conviction partagée par Foday Kamara. Dans notre conversation, je lui ai demandé s’il n’était pas en train de devenir chrétien à cause de son dévouement dans l’enseignement du catéchisme. Voici sa réponse : « je n’ai pas besoin de devenir chrétien. Si je n’aime pas convenablement le prochain, ce n’est pas parce que je suis musulman. C’est parce que je ne mets pas en pratique les enseignements de ma foi musulmane. Si j’étais un vrai témoin du Dieu qu’enseigne le Coran et auquel je crois, si j’étais un vrai musulman, je vivrais certainement mieux que ce que je suis aujourd’hui ». 

Il y a dans ces propos une belle leçon en ce qui concerne les vérités de la religion, particulièrement l’Islam. Avec l’aggravation de la violence propagée par les groupes extrémistes, un certain air d’islamophobie est en train sournoisement de se répandre ; même parmi des honnêtes chrétiens. Il est salutaire aujourd’hui d’apprendre justement à ne pas confondre Islamisme et Islam.

En vivant dans divers contextes culturels, les missionnaires ont aidé l’Église catholique à être conscience du défi du dialogue interreligieux et de le prendre au sérieux. Par leur rencontre avec les gens d’autres religions, ils ont aidé les chrétiens à mieux comprendre les autres croyants et les ont ainsi stimulés à ne rien rejeter de ce qui est vrai et saint dans d’autres religions (Vatican II, Nostra Aetate, n°2). Les missionnaires se sont toujours impliqués dans cette noble tâche du dialogue interreligieux, avec conviction et zèle. 

Au milieu de beaucoup de mauvaises nouvelles qui viennent des pays comme l’Irak, la Syrie, le Nigeria, le Kenya, le Cameroun, le Tchad…, à cause de violences à coloration religieuse, le cas de Mr. Foday Kamara, musulman et catéchiste est, en effet, une petite bonne nouvelle en provenance de la Sierra Leone, un pays où la diversité religieuse est loin d’être cause des conflits. Son cas, rappelle à notre humanité qu’évoquer la religion pour justifier la violence et les crimes est un mensonge et une caricature de la religion. À l’ère du dialogue interreligieux et de la rencontre des cultures, la foi des autres est toujours donnée comme une grâce et une opportunité afin que chacun approfondisse sa foi et la vive pleinement et en toute vérité. Mr. Foday Kamara est là pour nous dire, en acte, cette vérité. Il ne serait pas mal d’être attentif à reconnaître et faire connaître d’autres cas similaires.


* Ce texte est une version remaniée en français du texte publié en anglais sous le titre : Mr. Foday Kamara : Muslim and Catechist, sur le site : www.saveriani.com

Voir aussi l’interview de l’historien et économiste libanais Georges Corm : « Des conflits géopolitiques sous couvert de religion », dans le Monde des religions, du 22/07/2015. On peut aussi voir son lire : Pour une lecture profane des conflits : sur le « retour du religieux » dans les conflits contemporains du Moyen - Orient, Paris, La découverte, 2015.