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Retour aux croyances ?



Le Centre d’Études Africaines de Missionnaires Xavériens vient de publier un texte sur les « Croyances ». Retrouvez ici l’Édito signé par père Louis Birabaluge, missionnaire xavérien en Sierra Leone.

Le dossier publié dans ce numéro 10 du CEA se propose de « décrypter les croyances aujourd’hui » à partir de la RD Congo comme point d’observation. Ce travail réalisé par les étudiants du Philosophât Isidore Bakanja, sous la direction du père xavérien Faustino Turco*, s’inscrit à la suite d’un vaste mouvement de pensée débuté en Afrique vers les années 70 et 80. En effet, dans le christianisme africain, cette période coïncide avec ce qui est connu comme théologie de l’inculturation. Il s’agissait d’une intense activité  des recherches portant sur les croyances et les coutumes ayant pour visée l’évangélisation en profondeur des peuples d’Afrique.

Cette dynamique avait reçu un soutien et un encouragement officiel du magistère ecclésial au premier synode des évêques pour l’Afrique (1994). Au fait, à la fin de leurs travaux, les pères synodaux considéraient l'inculturation comme une priorité et une urgence dans la vie des Églises particulières en Afrique. Car, croyaient-ils, c'est par là que l'Évangile s'enracinerait solidement dans les communautés chrétiennes du continent[1].

En 2009, le second synode des évêques pour l’Afrique confirmait aussi la nécessité d’une évangélisation attentive au défi des croyances. Car, notait l’assemblée synodale : « S’appuyant sur les religions traditionnelles, la sorcellerie connaît actuellement une certaine recrudescence. Des peurs renaissent et créent des liens de sujétion paralysants. Les préoccupations concernant la santé, le bien-être, les enfants, le climat, la protection contre les esprits mauvais, conduisent de temps à autre à recourir à des pratiques des religions traditionnelles africaines qui sont en désaccord avec l’enseignement chrétien »[2].

Pourtant, déjà en plein boom de la théologie de l’inculturation, des voix africaines s’étaient levées pour dénoncer ses failles. Selon le camerounais Jean-Marc Ela, des recherches académiques centrées sur les croyances et les coutumes africaines couraient le risque de servir d’alibi à leurs auteurs pour masquer leur démission dans le combat de la libération des peuples à évangéliser. Dans la perspective de J.-M. Ela, la pertinence d’une réflexion chrétienne devait se mesurer à l’aune de sa prise en compte de la situation de paupérisation de peuples d’Afrique. C’est sur cette base qu’il fallait penser l’annonce de l’Évangile comme la Bonne Nouvelle du Dieu de Jésus-Christ qui libère[3].

Alors que l’alerte du théologien camerounais n’a rien perdu de sa pertinence, pourquoi une publication sur les croyances aujourd’hui ? Les résultats de ce travail publié ici en livrent les raisons :

1/ Dans un monde où semble triompher la rationalité technocratique, on serait tenté de porter un regard condescendant sur les croyances, au sens de convictions personnelles ou d’adhésion massive à un corps de doctrines et de pratiques de type émotionnel, dépourvu de tout fondement rationnel. Or nous apprenons de ces recherches que les croyances- ancestrales, religieuses, occultes, phénomènes pathologiques...- n’ont rien perdu de leur actualité, même dans un pays comme la RDC où le christianisme catholique connaît un succès évident. Au contraire, ces croyances ne font qu’attirer de nouveaux adaptes. À partir du moment où des hommes et des femmes y cherchent un sens à leur vie et à leur mort, comment ne pas prendre au sérieux ces croyances ? En ce sens, l’attitude adoptée dans cette recherche, à savoir le dialogue sympathique et l’invitation qui en découle : jeter un regard nouveau et renouvelé sur les croyances; valent la peine aujourd’hui.

2/ Cette recherche indique que les christianismes officiels- protestants et catholiques- ont perdu le monopole de l’offre chrétienne en Afrique. Ce fait est confirmé par la vivacité des églises afro-chrétiennes et les églises néo-pentecôtistes dites églises de réveil. D’un point de vue catholique, le défi est alors de penser comment annoncer l’Évangile dans un contexte de « religions à la carte »[4] où les gens choisissent une religion selon leurs intérêts, leurs attentes et leurs besoins particulièrement matériels et économiques. C’est tout le mérite de ce dossier que de nous sensibiliser encore une fois sur la problématique d’une nouvelle évangélisation attentive aux questions de vie élémentaire comme le manger, la santé, l’emploi…

3/Même sous le prisme de la sympathie, ce dossier ne ressasse pas seulement les croyances. Il en relève parfois les failles et la nuisance comme l’aliénation et le mépris de la dignité humaine que véhicules certaines pratiques occultes et sectes de tout genre. Aussi nous apprenons que les églises dites de réveil ravivent le sens de la joie dans les célébrations et de la communauté. Et en leur sein, on retrouve une donnée importante de l’héritage culturel africain, non suffisamment prise en compte par l’évangélisation missionnaire : le salut c’est la santé, la paix, le bien-être matériel, une progéniture assurée. En leur sein, c’est le triomphe de la théologie dite de la prospérité matérielle[5].

Or, avec raison, le père Eloi Messi Metogo nous avertit : « quand la théologie de la prospérité fait de l’argent et du pouvoir les signes de l’élection divine, elle justifie les inégalités économiques, ainsi que le système postcolonial qui les instaure. Certains chefs d’Etat l’ont compris et sont devenus pentecôtistes. Expliquer le malheur par l’action de puissances occultes dont on est délivré par l’intervention miraculeuse de Dieu ne constitue en rien une menace pour le pouvoir politique »[6].

Dans une église de réveil comme la « Chapelle des Vainqueurs » on est ainsi en droit de se demander qui est le véritable vainqueur ? Le pasteur ou ses ouailles ? Promouvoir une « pastorale de l’intelligence et de la raison qui crée une habitude de dialogue rationnel et d’analyse critique dans la société et dans l’Église»[7] servirait de contrepoids à l’aveuglement des hommes et femmes de tout bord dont profitent en premier lieu, économiquement et politiquement, les fondateurs d’Églises : ne parle-t-on pas d’ « entrepreneurs religieux » et d’ « Églises entreprises » ? L’enjeu politique des croyances n’est pas suffisamment décrypté dans ce dossier. Mais il se lit en filigrane. De cette manière la recherche stimule à  approfondir les enjeux sociopolitiques des croyances en contexte africain aujourd’hui.

4/ Sur une note typiquement xavérienne, il sied de voir dans cette recherche dirigée par notre confrère comme une mise en œuvre du vœu de notre saint fondateur Guido Maria Conforti : « Sans porte préjudice aux œuvres du ministère apostolique, le missionnaire plus doué se mettra à rédiger des monographies ou des mémoires ayant trait aux us et coutumes, à la description des lieux, à l’histoire et à la faune du pays de mission, pour l’utilité des confrères et l’instruction de tout le monde (Règle Fondamentale, n°17).

5/ À la fin, la recherche met en perspective de pistes chrétiennes et culturelles à exploiter pour favoriser une rencontre féconde et heureuse entre les peuples d’Afrique et la foi chrétienne. Il s’avère ainsi que face aux différentes pressions du mal, la foi catholique n’est pas dépourvue de ressources pour y répondre. C’est le cas de la liturgie, la prière personnelle et communautaire, par exemple. Ou bien de la pratique de l’exorcisme où la question de la maladie s’offre comme le lieu de l’annonce de la bonne nouvelle (Mt 10, 1 ; 14, 35 ; Mc 1, 32. 34 ; 6, 13. 55).

Quid du terroir culturel africain ? Il offre des valeurs comme la ‘bisoïté’- néologisme qu’on doit à l’abbé Ignace Marcel TSHIAMALENGA NTUMBA- pour désigner le primat du communautaire sur l’individuel, une valeur que nos chercheurs décèlent dans la tradition africaine. Il est de même de la célébration de la vie, la joie de vivre, selon la belle intuition du père Aylward Shorter, missionnaire d’Afrique, ayant passé une vingtaine d’années de service dans la pastorale catéchétique en Afrique subsaharienne d’où il a appris que pour l’Africain vivre c’est célébrer.

Plus qu’une spécificité africaine, l’insistance sur la dimension vitale - la vie à recevoir, à transmettre et à conserver - comme centrale dans une recherche sur le repérage, le décryptage, l’interprétation et l’analyse des croyances en vue d’une évangélisation en profondeur met en lumière une donnée centrale l’anthropologie. Celle-ci considère que le cœur de la religion  est : «  la transmission de la vie comme héritage ». Dès lors, l’important n’est pas de restaurer une institution religieuse, une croyance traditionnelle ou autre, de rallier les autres à sa bannière ou d’adhérer fermement à un corps de vérités. C’est de faire naître un peu d’humanité, de rendre sensible la tendresse de Dieu dans le monde d’aujourd’hui, un Dieu qui s’est incarné, a pris chair et corps dans notre histoire humaine[8].

C’est pour dire que le dossier que prend en charge ce numéro n’est pas d’un intérêt secondaire. Parce qu’il conduit au cœur de la geste évangélisatrice : être témoin de l’auteur de la vie en abondance (Jn10, 10), il mérite toute notre attention. L’étendue du sujet traité et des thèmes abordés dans cette étude font que certains approfondissements et nuances nécessaires fassent défaut. Mais cela n’enlève rien à l’actualité de ce thème des croyances. Désormais un outil est placé entre nos mains. Il offre des éclairages, des pistes à explorer…et surtout à mettre en œuvre.

Par Louis BIRABALUGE*

 

* Faustino TURCO est prêtre missionnaire xavérien de nationalité italienne ; ancien supérieur régional de la République démocratique du Congo et actuellement formateur au Postulat xavérien de Kinshasa.

[1] PAPE JEAN PAUL II, Ecclesia in Africa, n° 78 et 103.

[2] PAPE BENOÎT XVI, Africae Munus, n°93.

[3]JEAN-MARC ELA, Ma foi d’Africain, Paris, Karthala, 1985, p. 192-196. Voir aussi son œuvre : Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Paris, Karthala, 2003.

[4] Cf. JEAN –LOUIS SCHLEGEL, Religions à la carte, Paris, Fayard, 1995.

[5] ELOI MESSI METOGO, «  Religions, christianisme et modernité : question pour le second synode ? », in NDI-OKALLA J., (dir.), Le deuxième synode africain face aux défis socio-économiques et éthiques du continent. Documents de travail, Paris, Karthala, 2009, p. 34.

[6] Ibid.

[7] PAPE BENOÎT XVI, Africae Munus, n°137.

[8] ELOI MESSI METOGO, op. cit., p. 37.

* Il est prêtre missionnaire xavérien de nationalité congolaise (RDC). Auteur de Consacrés africains, pour quoi faire ? (L’Harmattan 2015). Il est actuellement chargé des cours de Théologie au grand séminaire de Freetown en Sierra Leone.