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Sans humanité authentique, pas de vie religieuse authentique !



En cette année dédiée à la vie consacrée, beaucoup d’initiatives seront entreprises afin de donner un nouveau souffle au charisme de la vie consacrée.

On peut s’imaginer que pendant les rencontres de consacrés, l’accent sera mis sur l’importance de vivre radicalement l’évangile, de prier plus et sérieusement, de vivre concrètement les trois vœux religieux : pauvreté, chasteté et obéissance…Une telle découverte est utile et rejoint l’horizon indiqué par le concile Vatican II qui a voulu que toute rénovation de la vie religieuse commence par la rénovation de la vie spirituelle (Perfectae Caritatis n°6).

Sans sous-estimer le risque d’un déficit de foi et de vie spituelle qui guète les consacrés, on peut par ailleurs se demander si les problèmes auxquels sont confrontés les consacrés n’ont pas un lien fort avec un déficit d’humanité. Par humanité, il faut entendre les qualités humaines comme la sincérité, la loyauté, la discrétion, l’attention à l’autre, le sens de la créativité, de l’adaptation, la capacité de dialoguer, le sens de l’amitié, celui de l’humour…Autant de petites qualités humaines qui rendent la vie, individuelle et collective, agréable, joyeuse et épanouie. C’est ce que les missionnaires xavériens appellent : visage humain.

I. Bâtir le religieux sur l’humanité

Il n’est pas évident que le visage humain comme base sans laquelle aucune vie religieuse authentique n’est possible puisse occuper la place qu’il lui faut dans le cursus formatif des futurs consacrés. Le risque des consacrés est de vouloir tout spiritualiser en oubliant qu’avant d’être consacré, on est homme ou femme tout simplement. Et que tout le reste vient après. C’est sur l’humanité que se bâtit le religieux ; dans le cas contraire, on construit sur du sable. Et les conséquences, on les connait bien : la production des consacrés, trop pieux, mais pas vraiment joyeux et encore moins heureux.

Un examen rapide des problèmes quotidiens de beaucoup de communautés religieuses révélerait que ce qui leur fait défaut c’est moins la foi que l’humanité. Les petites jalousies, les coups bas, les exclusions tribales, le manque de solidarité effective entre membres d’une même communauté ou congrégation, les calomnies, les intrigues, l’affectivité déréglée…sont autant de maux qui minent les couvents ; pourtant connus pour leur assiduité à la vie spirituelle.

On nous rétorquera que si les religieux ne s’adonnaient pas à la vie de foi, la situation serait pire. Pas question. Les prières miraculeuses sont minimes et on ne peut s’imaginer que, par magie, la prière peut transformer une communauté de petits diables en communauté de saints. De telles réalisations sont vraies, mais rares dans l’histoire de la vie religieuse.

En disant ceci, nous n’abaissons pas l’importance et la puissance de la vie de foi, médiatisée dans et par une vie de prière constante, une écoute continue de la parole de Dieu et la pratique sacramentelle. Nous voulons simplement mettre en évidence les atouts humains comme cordes sur lesquelles on peut jouer davantage pour repenser la vie religieuse comme chemin d’humanisation. Il y a ici une redécouverte du sens de l’incarnation du Christ comme clé de compréhension de la rédemption humaine et par conséquent comme base théologique à partir de laquelle devrait puiser une saine spiritualité de la vie religieuse.

En mettant l’accent sur les vertus humaines, on a la chance de surfer sur ce que la nature pourvoit déjà à chaque être humain. Et à partir des dons naturels, la grâce de la foi vient comme un fertilisant. Saint Thomas d’Aquin ne disait pas autre chose lorsqu’il affirmait : « la grâce ne change pas la nature, mais la perfectionne ».

Penser l’humanité comme base sans laquelle aucune vie religieuse authentique n’est possible a de conséquences sérieuses sur le discernement de la vocation religieuse. Ici, la piété, la dévotion, la soumission et la docilité-à ne pas confondre avec l’obéissance- la morale des interdits, la pureté rituelle…ne sont plus de critères primordiaux pour l’admission d’un candidat à la vie religieuse ou pour la reconnaissance d’un religieux ou une religieuse à la foi éprouvée. Au contraire, les valeurs de la vigueur, la capacité à dire non, la combativité, la jovialité, la joie de vivre…deviennent de vrais critères d’authentification d’une vie religieuse éprouvée et approuvée. Il est heureux de constater que dans la Bible, le jugement dernier porte sur la qualité des actes pleins d’humanité, comme donner à boire à un assoiffé, visiter un malade, un prisonnier…(Mt 25). En tout cas, les gens admirent souvent les consacrés, non pour leurs bons sermons ou pour leur piété, mais souvent à cause de leurs actes d’humanité.

Pour se convaincre d’une telle démarche, il sied de croire en la vie, aimer le monde et tout ce que le Créateur y a mis, pour le bon plaisir et la jouissance des humains. En termes religieux, il faut donc noter que c’est une théologie de la création qui devrait servir de guide à ceux-là qui ont la charge de discerner les authentiques vocations religieuses. Une telle vision semble n’avoir pas eu toute l’importance qu’elle méritait dans le cursus formatif de religieux lorsqu’on voit certains égarements actuels des hommes et des femmes de Dieu et qu’on est tenté de se demander : « sont-ils vraiment humains ? ».

On va beau raffiner les méthodes formatives et trier les formateurs et formatrices les plus rodés pour former des religieux plus « religieux », mais si on ne découvre pas la valeur positive du corps, la joie de vivre, le sens de la fête et du plaisir, celui de l’amitié, la courtoisie…gageons que tant d’efforts risquent de produire peu de fruits et très peu encore.

On se fait religieux pour être heureux. Personne ne rêve d’une fin de vie triste, froide, plaintive…La vie bonne fait partie des objectifs du cheminement vocationnel des consacrés ; on ne doit pas s’y méprendre à cause d’une conception erronée du sens de la « sainteté chrétienne». La vie religieuse, où elle est pleinement vécue, rend heureux et aide à rendre heureux les autres.  Cela, car dans une perspective vraiment chrétienne, le bonheur chrétien est et doit toujours être pensé comme un « bonheur partagé ». Mais par bonheur chrétien, il ne faudrait pas vite penser au bonheur dans l’au-delà. Ce sont plutôt ces petites joies terrestres que rendent possible une vie humaine pleinement et joyeusement vécue. Ces petites joies sont à imaginer comme la préfiguration de la joie éternelle que le bon Dieu accordera à ses élus dans les cieux au jour de la parousie.

II. Que faire ?

1. La nouvelle Ratio Formationis Xaveriana (Rome 2014) a placé la question du visage humain du xavérien à toutes les étapes de la vie du missionnaire xavérien ; en partant du postulat jusqu’au troisième âge ; c’est-à-dire à l’âge du retrait progressif de la vie active (pp. 79, 84, 94, 114). Il serait important que cette dimension de la Ratio : visage humain du xavérien, dépouillée de son emploi théorique et romantique, puisse faire objet de méditation et de formation. La valorisation de « l’humanité » aiderait à résoudre beaucoup de problèmes auxquels les communautés religieuses font face aujourd’hui ; y compris celles des xavériens.

2. La nouvelle Ratio Formationis Xaveriana parle de l’animation Missionnaire et Vocationnelle comme un service à rendre aux Eglises locales, pour leur croissance ; et au discernement vocationnel des jeunes. A ce niveau, le document insiste beaucoup sur les caractéristiques des jeunes et des enfants dont les animateurs vocationnels doivent tenir compte dans leur travail de discernement. On aimerait écouter les rédacteurs du document dire un mot sur les caractéristiques qui doivent marquer l’animateur lui-même. Et dans celles-ci, nous verrions d’un bon œil, l’insistance sur les qualités humaines de l’animateur. Il nous semble qu’avec un simple sourire, un visage serein et jovial, le sens de l’accueil et du respect…certains consacrés font plus d’animation missionnaire et vocationnelle que ceux-là qui passent des journées à sillonner les paroisses pour présenter aux jeunes des textes et des idées sur la vie consacrée alors qu’ils sont incapables de libérer une parole ou un geste qui peut réchauffer le cœur. Les exemples de ses animateurs vocationnels par leur humanité ne manquent. Il faudrait les valoriser en ce temps où on n’est pas à l’abri du retour de l’intégrisme religieux, même chez de consacrés de bonne volonté, effrayés par ce qu’ils aiment appeler : la « mode du temps ».

3. Notre époque est marquée par l’accentuation du sens du plaisir, de la joie, de la détente, de la beauté…Il ne faudrait pas que les consacrés restent en dehors d’une telle culture ; au nom de l’ascèse religieuse. Si ce monde-ci est le lieu de l’accomplissement des promesses du Seigneur, alors ses disciples n’ont pas d’autre choix que d’y habiter pleinement avec une ferme conviction : « c’est en étant au cœur du monde qu’on peut lui annoncer l’Evangile de la joie. On n’évangélise pas le monde en lui tournant le dos ». Bonne année de la vie consacrée !