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De l’icône biblique d’Africae Munus (Mt 5, 13-14)

Le dernier Synode des évêques sur l’Afrique, tenu à Rome du 4 au 25 octobre 2009 et qui a donné lieu à la publication de l’Exhortation apostolique post-synodale Africae Munus, a eu pour thème : « l’Eglise en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix ». Son icône biblique (Mt 5, 13-14) est le texte évangélique proposé par le texte liturgique de ce mardi, de la 10e semaine du Temps Ordinaire, Année A. C’est une belle occasion pour redécouvrir la richesse biblique de la métaphore du sel et de la lumière ; laquelle désigne la condition des disciples du Christ dans le monde.

En effet,  le texte intégral dans lequel est tirée notre double métaphore est le suivant :

« Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel ? Il ne vaut plus à rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes (v. 13).  Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée (v. 14). »

Le contexte général  dans lequel est situé notre passage est celui  du «  Sermon sur la montagne (Mt 5, 1-7, 29)». Tandis que son contexte particulier est qu’il vient juste après  les Béatitudes (Mt 5, 3- 12), celles-ci étant honorées, comme les valeurs essentielles pour Jésus[1]. C’est donc aux disciples qui ont déjà écouté le discours sur les Béatitudes que Jésus demande d’être le sel de la terre et la lumière du monde  (Mt 5, 13-16). Si les disciples sont invités à être sel et lumière, c’est conformément aux valeurs du Royaume ; conformément à la manière dont Jésus annonce et réalise le Royaume de Dieu.

Pour Jésus, annoncer la Bonne Nouvelle signifie annoncer que le Royaume de Dieu est tout proche (Mt 4, 17). Mais davantage, ce Royaume est déjà là à l’œuvre, car en Lui, il atteint déjà ses destinataires (Mt 12, 28). Mais il l’est d’une manière non éclatante, sur le mode qu’annonçait Jean Baptiste, mais mystérieuse, comme une semence, d’irrésistible puissance, déposée par Dieu au cœur de l’homme (Mt 13, 24-30. 31-33. 36-50)[2]. Etre et agir  dans le monde comme Jésus, c’est la mission qui incombe désormais à ceux qui ont été appelés par Lui et qui ont accepté de Le suivre. Et selon le second synode des évêques pour l’Afrique, c’est de cette manière que les chrétiens d’Afrique sont invités à mener leur existence au cœur du monde à la manière du sel et de la lumière.

Que signifie alors, précisément, pour les disciples du Christ en Afrique le fait d’être « sel de la terre » et « lumière du monde » ? Pour répondre à cette question, il convient de tenir compte à la fois du sens que cette double métaphore a dans ce texte précis, mais aussi voir les autres sens qu’elle a dans d’autres passages de l’Ecriture. C’est  de cette manière qu’on saisit sa richesse et son renvoie aux exigences et la mission qui découlent de « l’être disciple », individuellement et collectivement.

« Vous êtes le sel de la terre… » v. 13. Dans son commentaire de l’Evangile de Matthieu, Claude Tassin, fait remarquer que même si la portée originelle de la métaphore du sel (cf. Mc 9, 50 ; Lc 14, 34) pose problème, son application dans Mt 5, 13 est précise.

«  Le sel donne de la saveur et empêche la décomposition. Ainsi, « l’alliance de sel » signifie la pérennité d’un pacte (Esd 4, 14). Les disciples donnent saveur au monde et en assument la survie devant Dieu. Mais s’ils n’assument plus cette fonction et perdent l’esprit des béatitudes, ils ne valent plus rien et le rejet (par Dieu) les menace »[3].

En plus de  significations relevées, ci-haut, il convient de noter que dans la Bible, le symbole du sel a d’autres significations. En effet,  dans le livre de la Genèse, le sel est évoqué pour signifier la mort. C’est le cas,  dans l’appellation de la mer Morte comme « mer Salée » (Gn 14, 3) ; ou la femme de Loth qui devient « colonne du sel » (Gn 19, 26). Cependant, Dieu, le Seigneur de la vie, guérira les eaux de la « mer Salée » avec l’eau du Temple et lui donnera la vie (Ez 47). Le sel a aussi un pouvoir purifiant. C’est à ce sens que renvoie le cas de la purification d’Elisée dans les eaux de Jéricho (2 R 2, 19-22). Mais le sel symbolise aussi la sagesse et la force morale, et c’est ce qui arrive, lorsque le sel est employé pour fertiliser le sol[4].

Toutes ces significations de la métaphore du sel manifestent que la mission chrétienne  en Afrique ne saurait emprunter un chemin unique. Au contraire, à la manière du sel, elle aura plusieurs visages comme soigner, empêcher de pourrir, purifier, donner de la saveur...

Voyons à présent le sens de la deuxième  métaphore : « Vous êtes la lumière du monde » v. 14.  Cl. Tassin conseille qu’on y associe aussi  les versets 15 et 16. En effet, selon lui,  la métaphore de la lumière renvoie au livre d’Isaïe, à la vocation de Jérusalem, ville-lumière placée sur la montagne pour attirer les peuples vers Dieu (Is 60). Mais cette image évoque aussi la vocation du prophète, appelé à être « lumière des nations » (Is 42, 6 ; 49, 6).

Briller, éclairer les « nations »,  guider vers Dieu, être une « lumineuse attirance » comme Jérusalem ou le prophète Isaïe telle est la signification du fait d’être « lumière du monde » pour les disciples. Le v. 15, laisse entendre que  leur  mission est un devoir : la lampe est faite pour être vue. Le v. 16 révèle à son tour, la nature de la lumière des disciples : «  ce que vous faites de bien » ou bien « vos bonnes œuvres ».  Si les disciples doivent agir, ce n’est pas pour exhiber leur propre  vertu ou pour leur propre gloire, mais pour faire découvrir aux hommes la conversion au Royaume qui les anime[5]. Ils ont été éclairés eux-mêmes et c’est cela dont ils témoignent aux yeux du monde.

Si dans l’Evangile, le Christ n’est pas nommé comme Sel, il n’empêche que son agir renvoie à ce que signifie le Sel. Il est celui qui donne vie. Il guérit et purifie. Plus encore, il est celui qui se dépense, qui se dissout à la manière du sel pour  la vie du monde.  Par contre, l’Evangile n’hésite pas à désigner le Christ comme Lumière (Jn 1, 4-10 ; 8, 12 ; 1 Jn 1, 7). Mais la lumière dit aussi la nature divine de la mission de Jésus. Il est la lumière des nations. ( Lc 2, 32). En tant que Verbe de Dieu, il est la Parole qui éclaire et guide au  salut (Pr 6, 23 ;   Ps 19, 8 ; 27, 1 ; 119, 105).

Que retenir ? En premier lieu : la double métaphore du sel et la lumière  renvoie, fondamentalement,  à l’action salvifique accomplie par le Christ pour les  membres de son Corps en Afrique, l’Église ; lesquels sont invités, à leur tour,  à  agir dans la société africaine à la manière du Christ Lui-même.

En second lieu : choisie comme icône de travaux du synode, elle indique que c’est sur le terrain de l’éthique concrète de la vie sociale et politique que les chrétiens africains sont attendus pour témoins du Christ. Le synode se voulait un appel à « l’engagement ».  Par ailleurs, l’icône de (Mt 5, 13. 14) dit clairement le primat de l’action du Christ par rapport à celle de ses disciples. Pour nous chrétiens d’Afrique, redécouvrir et nourrir ce primat de l’action du Christ dans la vie chrétienne empêche l’appel à « l’engagement » qui traverse toute l’Exhortation à sombrer dans un moralisme ou un activisme stérile.

Même si nous sommes invités à  être « sel et lumière » à la manière du Christ, il ne faudrait pas perdre de vue que le Christ n’est pas un simple modèle à imiter. Il est, aussi notre sauveur. Il est le sacrement de salut gratuit de Dieu à l’humanité[6]. Et les lieux qui nous sont donnés pour goûter de cette gratuité de salut offert en Lui, ce sont les septs sacrements, plus celui du frère et de la sœur (Mt 25, 31-46).

C’est pour dire que notre mission au cœur du monde africain si elle veut vraiment être chrétienne, elle doit se nourrir de la Parole de Dieu, de la Prière et de la célébration des sacrements. Bref, adoration, célébration et engagement sont trois mots que l’icône biblique d’Africae Munus convie à découvrir comme itinéraire du disciple qui a suivi le discours du Maître sur la montagne et a opté d’y descendre pour témoigner de Lui. Alors que notre continent continue à traverser une zone de turbulence- et d’ailleurs toute notre humanité- que l’Esprit du Seigneur, notre Sel et notre Lumière, nous indique les paroles et les gestes appropriés pour témoigner de Lui.


[1] BROWN R. E., Que sait-on du Nouveau Testament ? Paris, Bayard, 2000, p. 220

[2]  LEON-DUFOUR X., Dictionnaire du Nouveau Testament,Paris, Editions du Seuil,  1996p. 468-469.

[3] TASSIN CL., L’Evangile de Matthieu. Commentaire pastoral, Paris, Centurion/Novalis, 1991, p. 62.

[4] CARDINAL APPIAH TURKSON P., « La Relatio ante disceptationem (Rapport avant le débat) », dans DC, n° 2433(2009), p. 998.

[5] TASSIN Cl., op. cit.

[6] UKWUIJE B., « Existe-t-il une théologie politique en Afrique ? », dans Laval théologique et philosophique, n°63, 2(2007), p. 301.